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— Avec cela, se dit-elle, en glissant le faux dans sa robe, et mon certificat de première communion, qui me désigne également sous le nom de Jeanne Reboul, je crois que tout ira bien et que je n’aurai pas dépensé inutilement cinq mille francs.

C’était en effet, sous ces deux noms que Mme de Serville avait fait faire à sa petite protégée ce premier acte sérieux de la vie des enfants.

En agissant ainsi, l’excellente femme ne s’était pas imaginé qu’elle commettait une faute grave ; elle n’avait pu se douter surtout qu’elle posait les premiers jalons d’une combinaison infâme dont un homme de son monde serait la victime quelques années plus tard.

Le nom de Jeanne lui ayant rappelé un de ses anciens serviteurs du château, Reboul, dont une des filles, morte depuis longtemps, s’était nommée également Jeanne, elle avait donné ce nom à l’enfant de l’assassin, pour lui constituer, à l’égard des gens de son entourage, une espèce d’état civil, de nature à la mettre à l’abri de toute supposition malveillante.

Il n’y avait à craindre aucune revendication : Reboul et sa femme étaient morts depuis longtemps et n’avaient pas laissé de famille dans le pays. Jeanne était donc orpheline, c’est-à-dire complètement libre d’elle-même.

Armée de la sorte, l’ancienne maîtresse de Justin Delon attendit habilement que M. de Ferney lui reparlât de mariage, et lorsque, quinze jours après les événements que nous venons de raconter, son amant la supplia passionnément de fixer elle-même la date de leur union, la jeune femme, qui s’était assurée de l’apparence régulière du faux de Pergous, le remit au père de ses élèves en lui disant :

— Voyez, Robert, si vous pouvez donner votre nom à une pauvre fille de paysans telle que moi.

— Peu m’importe, ma bien-aimée, qui tu es et d’où tu viens, répondit le malheureux en parcourant d’un œil indifférent l’acte de naissance. Je te sais digne de mon cœur et je t’aime !

Moins d’un mois plus tard, la fille du guillotiné Méral se nommait Mme de Ferney.

Le mariage civil du magistrat et de l’ex-institutrice, prononcé à huit heures du matin à la mairie du dixième arrondissement, devant quelques intimes, avait été béni immédiatement après à Saint-Sulpice, dans une des chapelles latérales.

Jeanne avait exigé qu’il en fût ainsi, et son mari avait cédé à ce désir qui n’était pour lui qu’une preuve de la modestie de celle à laquelle il donnait son nom.

Le lendemain, après avoir confié Louise et Berthe aux soins d’une femme de chambre en laquelle ils pouvaient avoir toute confiance, les deux époux partaient pour les bords du Rhin.