Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/205

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Cette lettre envoyée, le magistrat écrivit immédiatement à MM. Dormeuil et de Présolles pour les prier de se rendre de suite auprès de lui.

M. Dormeuil était un avocat à la Cour de cassation avec qui il s’était lié au Palais, et M. de Présolles un officier supérieur de cavalerie en retraite dont il avait fait la connaissance chez un président de chambre de ses amis.

M. de Ferney savait que ces deux messieurs le tenaient en grande estime, et qu’ils étaient absolument dignes de la mission pénible qu’il voulait leur confier.

Moins d’une heure plus tard et seulement à quelques minutes d’intervalle, MM. Dormeuil et de Présolles sonnaient à l’hôtel de Rifay.

Introduits auprès de celui qui les avait demandés, ils comprirent aussitôt, à la physionomie de leur hôte, qu’il s’agissait d’une affaire grave.

— Messieurs, leur dit le mari de Jeanne, après les avoir remerciés de l’empressement qu’ils avaient mis à se rendre à son appel, je vais réclamer de vous un grand service, service que je demanderais ailleurs, si je connaissais quelqu’un plus soucieux que vous de l’honneur.

Les deux visiteurs s’inclinèrent avec un geste plein de sympathie.

— J’ai été profondément outragé, poursuivit M. de Ferney ; Dieu ne s’est pas contenté de frapper en moi le père par le douloureux événement que vous connaissez, il a aussi, peut-être dans sa justice, frappé l’époux. Permettez-moi de ne pas vous donner d’autres détails, mais je vous jure que mes griefs sont de ceux qui exigent réparation. Je l’ai demandée à celui qui s’est rendu coupable envers moi ; je suis certain qu’il me l’accordera ; c’est un homme jeune, brave et de notre monde. C’est M. Armand de Serville, dont vous connaissez sans doute le nom d’artiste : Petrus. Il demeure 124, rue d’Assas. Voulez-vous me servir de témoins contre lui ? Je lui ai annoncé votre visite.

MM. Dormeuil et de Présolles ne pouvaient avoir un instant d’hésitation. Ce qu’ils savaient de M. de Ferney, son honorabilité et son nom les couvraient plus qu’il n’était nécessaire. Aussi répondirent-ils spontanément qu’ils acceptaient le mandat qui leur était confié.

— Oh ! merci, messieurs, merci ! leur dit avec effusion l’infortuné en leur serrant les mains. Quant aux conditions de ce combat, je les accepte toutes, quelles qu’elles seront, pourvu, et je m’en rapporte à vous, qu’elles me donnent la chance de mourir ou de me venger.

— Dieu est juste, cher monsieur de Ferney, vous ne mourrez pas, dit M. de Présolles.

— Un dernier mot, reprit le magistrat avec un triste sourire, et en s’adressant particulièrement à M. Dormeuil ; j’ai mis, cher maître, votre responsabilité à l’abri de tout reproche. Je n’ai pas oublié, en prenant la résolution que vous connaissez, les devoirs de ma situation, et pour ne pas être en même temps l’interprète de la loi et son violateur, j’ai envoyé ce matin ma démission à M. le ministre de la justice.