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— Attendez-moi là, dit Pergous, je vais chercher ce qu’il vous faut.

Et, laissant Dutan au pied, d’un arbre, au milieu d’un taillis assez épais qui couvrait une partie du jardin, il se dirigea vers la maison.

Jérôme mit sa caisse à terre.

Le vent gémissait dans les branches, les eaux du fleuve, augmentées par les pluies, rongeaient les berges en grondant. On entendait dans le lointain les aboiements plaintifs de quelques chiens errants et les sifflets des trains qui traversaient comme des éclairs le viaduc du chemin de fer de l’Est.

Le mari de Lucie était brave ; cependant il avait peur.

Son isolement dans un pareil lieu, avec ce petit corps d’enfant, l’épouvantait. Son cœur battait à rompre sa poitrine.

Pergous, heureusement, ne resta absent que quelques minutes. Ce fut avec un soulagement inexprimable que Jérôme le vit revenir.

Il tenait à la main une lourde bêche qu’il lui tendit, en disant :

— Tenez, creusez là. Enlevez d’abord le gazon par tranches ; vous le remettrez ensuite en place.

Il lui désignait un espace de quelques pieds carrés auprès d’un platane, le seul grand arbre qui s’élevait à cet endroit du jardin.

L’ouvrier obéit, et pendant que celui qu’il appelait son sauveur fumait tranquillement son cigare, il creusa en moins d’une demi-heure un trou de plus de trois pieds de profondeur sur une largeur et une longueur à peu près égales.

— C’est parfait, approuva l’agent d’affaires, après avoir sondé la cavité avec sa canne. Maintenant, fourrez-moi le coffre là dedans et recouvrez-le.

Le front baigné d’une sueur glacée, Dutan obéit de nouveau. Instinctivement plutôt que par réflexion, il fit glisser doucement la caisse jusqu’au fond du trou, puis il le remplit de terre en la tassant au fur et à mesure que la fosse se comblait.

Cette partie de son travail terminée, il dispersa au loin ce qui n’avait pu trouver place dans l’excavation, et il recouvrit le terrain avec les morceaux de gazon qu’il avait mis soigneusement de côté, sans les briser.

— Très bien ! fit son compagnon ; deux jours de pluie, et il n’y paraîtra plus rien. Vous pouvez être tranquille !

Jérôme n’eut pas la force de répondre un seul mot. Il était brisé par l’émotion autant que par la fatigue.

Sans s’en inquiéter un instant, Pergous reporta la bêche où il l’avait prise, puis au bout d’un instant, il revint donner le signal du départ.

Vingt minutes après, l’ouvrier et l’agent [d’affaires retrouvaient leur voiture à l’entrée du bois de Vincennes. Ils y prirent place sans échanger une parole et une demi-heure plus tard, ils se séparaient auprès du pont d’Austerlitz.

Pendant que l’ancien officier ministériel se faisait reconduire jusqu’au bout de la rue, Dutan remontait à pied le boulevard de l’Hôpital.

On se figure aisément l’état dans lequel il était en arrivant chez lui. Sa femme, qui l’attendait, jeta un cri en l’apercevant souillé de boue et le visage défait.

Elle crut d’abord qu’il lui était arrivé quelque accident, qu’il avait été surpris, arrêté ; mais Jérôme la rassura en lui racontant ce qui s’était passé à Nogent, et tranquilles tous deux sur la suite de cette aventure dramatique qui était venue trou-