Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/220

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— Armand ! murmura Jeanne.

Mais celui-ci ne l’écoutait pas. Soutenu par son ami et les traits décomposés, il suivait des yeux sa victime.

— Armand ! redit la jeune femme, en cherchant à prendre sa main.

— Oh ! non, ne me touchez pas ! fit-il avec un mouvement d’horreur. Salmon, je vous en prie, retenez-la.

Il s’était précipité à travers la clairière comme pour rejoindre M. Dormeuil, qui, ne croyant pas convenable de rester le témoin de cette scène tout à la fois odieuse et pénible, s’était dirigé du côté où la civière avait disparu.

Stupéfaite plutôt qu’émue de l’accueil de son amant, Mme de Ferney semblait hésiter.

— Voulez-vous que je vous reconduise, madame ? lui proposa M. Salmon. Vous ne pouvez rester ici ; vous n’irritez que davantage encore M. de Serville contre vous.

M. de Serville est un sot, répondit-elle. Lorsqu’on n’a pas plus d’énergie, on ne se bat pas ; on supporte l’insulte et l’outrage sans en demander raison ; on ne se fait pas le défenseur d’une femme pour s’en prendre ensuite à elle. Est-ce que je pouvais supposer que ma vue produirait un tel effet sur M. de Ferney ! Est-ce que je savais même que c’était en face de lui plutôt qu’en face de son adversaire que j’allais arriver ? J’étais inquiète, désespérée. Si Armand était blessé, je ne voulais pas qu’il reçût d’autres soins que les miens ; s’il était mort, je voulais mourir près de lui ! Je ne sais par quel égarement d’esprit il m’accuse, ainsi que les témoins de M. de Ferney, d’avoir machiné une infamie que je ne comprends pas. Ah ! monsieur, tout cela est horrible !

Jeanne avait prononcé ces mots en portant ses mains à son visage comme pour cacher ses larmes.

M. Salmon, qui ne la connaissait que de nom et par l’exaltation de l’amour de son ami pour elle, ne savait que répondre. Il ne comprenait pas que l’astucieuse créature lui fournissait des arguments pour sa défense, lorsqu’il aurait à rendre compte à Armand de la façon dont s’étaient passées les choses après son éloignement.

— Oui, c’est possible, madame, finit-il par balbutier ; mais tout cela n’en est pas moins terrible, et il faut vous éloigner. J’ai eu l’honneur de vous offrir mon bras.

— C’est inutile, monsieur, répondit-elle ; je suis venue seule, je m’en retournerai de même.

Et après avoir sondé des yeux, une dernière fois, l’épaisseur du taillis, pour y découvrir M. de Serville, elle tourna vivement sur elle-même, et sans même saluer M. Salmon, disparut sous les arbres.

Pendant que cette scène se passait entre sa maîtresse et son témoin, le peintre courait après M. Dormeuil.