Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/263

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mentaire de son premier mari, ni le notaire de la famille de Ferney, ne connussent jamais le lieu de sa résidence.

Quelques jours après la réception de la lettre du comte Kicheneff, à qui elle répondit quelques mots de remerciement, Mme de Ferney partit pour Bruxelles.

Son premier soin, en arrivant dans cette ville, fut de se mettre à la recherche d’un bon pensionnat, car elle ne voulait pas emmener sa fille à Londres.

Elle trouva aisément ce qu’elle cherchait dans le faubourg d’Ixelles, l’endroit le plus sain de la ville, et elle ne s’éloigna que lorsqu’elle fut bien certaine que Gabrielle, qui n’avait que huit ans, se ferait à cette existence nouvelle et aussi après l’avoir recommandée à la maîtresse de l’institution avec l’insistance de la meilleure mère.

Du reste, le sentiment maternel qui s’était éveillé dans le cœur de Jeanne, au lendemain de la naissance de sa fille, n’avait fait que grandir. Elle aimait réellement cette enfant, qui était adorable en tous points.

Gabrielle promettait d’être aussi belle que sa mère et elle avait dans le caractère la spontanéité et la sensibilité de celui qu’on croyait son père, Armand de Serville.

Jeanne, — cela se rencontre souvent chez les femmes les plus bas tombées, — rêvait pour sa fille un avenir tout de pureté.

Près d’elle, elle redevenait jeune, retrouvait les chastes sourires de son enfance et oubliait le passé.

Bien certainement, c’était surtout pour sa fille qu’elle maudissait la catastrophe qui l’avait, une seconde fois, chassée du monde honnête où elle espérait trouver plus tard un mari titré pour celle qui s’appelait Mlle de Ferney et était une riche héritière, car sa mère savait bien que, quoi que pût tenter M. Dormeuil, Gabrielle aurait sa part dans la succession de celui dont elle portait légalement le nom.

Aussi ne se sépara-t-elle de la fillette qu’avec un véritable déchirement et en se promettant de la faire venir auprès d’elle dès que les circonstances le lui permettraient.

C’est dans la situation sociale due aux événements que nous venons de raconter que nous retrouvons Jeanne à Thurloe square, après son succès à Covent-Garden.

Nous avons dit que notre héroïne, restée merveilleusement belle, bien qu’elle eût dépassé la trentaine depuis déjà quelques années, s’était étendue sur une chaise longue, après avoir quitté sa toilette de soirée.

Debout auprès d’elle, Sonia la contemplait avec le sourire sur les lèvres.

— Qu’as-tu donc ? lui demanda-t-elle ; je ne t’ai jamais vu la physionomie aussi joyeuse depuis notre départ de Russie.

— Pardonnez-moi, madame, répondit la jeune fille, mais je suis heureuse parce qu’il me semble que vous êtes moins préoccupée que ces jours derniers. Auriez-vous reçu une gentille lettre de Mlle Gabrielle ?

À ce nom de sa fille, Mme de Ferney ne put retenir un tressaillement ; une imperceptible rougeur envahit son front.