Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/303

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n’avait autorisé qu’après s’être assuré que la raison de Lucie était bien à jamais perdue, et il s’était hasardé une fois à se trouver sur le chemin de Marie, comme par hasard ; il l’avait accompagnée jusqu’à la porte du triste établissement, puis attendue et escortée durant son retour à la maison. Il s’était ainsi établi entre les deux isolés une espèce de solidarité dans l’infortune.

Quant à Pergous, dans les premières semaines qui avaient suivi l’installation de Marie près de lui, il s’en était occupé à ce point que la jeune fille en avait été inconsciemment troublée ; mais, tout à coup, il avait paru n’y plus faire attention.

La raison de ce changement de Pergous était toute simple : il était amoureux ailleurs.

Un jour, en traversant sa salle à manger, il avait aperçu, rapportant le linge, cette Clarisse que nous avons présentée à nos lecteurs en compagnie des agents de Jeanne Reboul, et il en était tombé sérieusement épris. Mais la blanchisseuse lui tenait la dragée haute, et c’était cette campagne galante qu’il poursuivait qui lui faisait oublier, momentanément hélas ! celle qu’il appelait cyniquement sa fille adoptive.

Tel était l’intérieur de la maison de l’homme d’affaires le jour où nous y pénétrons de nouveau, pour surprendre l’ex-avoué dans l’examen d’un long rapport dont la lecture paraissait lui causer la plus vive satisfaction.

Ce document, tout entier de sa main, car, sans doute, il avait jugé prudent de n’en confier la copie à personne, était ainsi conçu :


« L’hôtel de Rifay, construit en 1754 par les ordres du comte Richard de Rifay, gentilhomme de la chambre du roi, est resté jusqu’à la Révolution dans la famille de Rifay. Confisqué en 1792, l’hôtel fut acheté par le sieur Gérard, fabricant de draps, qui l’habita jusqu’en 1815.

« À cette époque, le marquis de Rifay, rentré en France avec les Bourbons, se rendit propriétaire de cette demeure de famille, et à sa mort, en 1832, l’hôtel passa aux mains de Me Duchateau, notaire royal. Son fils le possède encore aujourd’hui.

« Loué, en 1832, au général de Morand, il fut occupé ensuite, jusqu’en 1853, par la marquise d’Ulm ; puis, après être resté deux ans inhabité, il fut loué, en 1858, à M. de Ferney, qui y fit de grands embellissements et allait l’acheter lorsqu’il mourut, à la fin de 1857, des suites d’un duel.

« Moins d’un mois après cet événement, M. Billy, un savant membre de l’Institut, s’installa à l’hôtel de Rifay, d’où il n’est sorti que chassé par l’expropriation. »


— Parfait, dit, Pergous en suspendant là sa lecture, je n’ai à m’occuper que des trois derniers locataires, puisque la bague porte la date de 1850. Voyons mes notes sur ces trois derniers noms.

Et, reprenant son intéressant dossier, il lui tout haut, comme pour mieux fixer les moindres détails dans sa mémoire :