Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

du dehors la faisaient tressaillir ; elle se reprochait déjà de ne pas avoir résisté aux tentations de l’inconnu.

Mme Dutan avait bien prévu que son mari ne pourrait être de retour avant deux heures du matin au plus tôt ; aussi ne fut-elle troublée, jusqu’à ce moment de la nuit, que par la crainte qu’il ne fût surpris ; mais lorsqu’elle entendit sonner trois heures, puis quatre, cette crainte se transforma en épouvante.

Elle avait le pressentiment d’un malheur.

Jérôme était-il arrêté ? De quel accident avait-il été victime ?

Le cœur serré, elle s’accouda à la fenêtre, où elle resta jusqu’au jour, malgré le froid et la pluie.

Lorsqu’elle vit les portes des maisons voisines s’ouvrir et la rue s’animer, n’y pouvant plus tenir davantage, elle alla réveiller sa fille.

— Marie, lui dit-elle, en dissimulant ses angoisses, ton père est déjà parti pour le chantier ; mais il a oublié sa pipe, et tu sais combien il en serait privé. Je vais la lui porter, je serai bientôt de retour ; garde la maison.

Puis, pensant que son mari pourrait rentrer pendant son absence, elle ajouta :

— Si par hasard ton père revenait, tu lui diras où je suis, afin qu’il n’ait pas d’inquiétude.

Sans demander aucune autre explication, bien qu’elle fût étonnée d’être réveillée d’aussi bonne heure, car d’ordinaire sa mère la laissait dormir tout son content, la fillette frotta ses jolis yeux, s’étira un peu, releva d’un tour de main ses longs cheveux dénoués par le sommeil et sauta en bas de son lit.

Lucie n’attendit pas que sa fille fût habillée ; elle lui renouvela sa recommandation et sortit précipitamment.

Une fois sur la route d’Italie, elle hésita.

Les yeux fixés du côté de la barrière dans l’espoir de voir enfin revenir son mari, elle se demandait si elle devait se rendre à Nogent ou aller tout dire à Pergous.

Mais en pensant que si Jérôme était arrêté, son voyage à Nogent serait inutile, et, pressée d’en terminer avec ses horribles incertitudes, elle courut jusqu’à la station, où elle prit une voiture, en ordonnant au cocher de la conduire rue du Four-Saint-Germain.

Lorsqu’elle arriva à la porte de l’agent d’affaires, il était sept heures à peine.

— M. Pergous est-il chez lui ? demanda-t-elle, en s’efforçant de paraître calme à la domestique qui vint ouvrir, après l’avoir faire attendre longtemps.

— Oui, madame, répondit cette femme, mais il est encore couché.

— Réveillez-le, j’ai quelque chose de fort important à lui communiquer.

— Ah ! c’est que monsieur n’aime pas beaucoup à être dérangé.

— Je vous en prie, c’est très grave.

Cette affirmation était à peu près inutile de la part de l’ouvrière, car sa voix ainsi que sa physionomie trahissaient son émotion.

— Votre nom au moins ? fit la servante.

— Lucie Dutan.

— Attendez là.

La domestique avait introduit la femme de l’ouvrier dans la salle à manger ; et,