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Dans d’autres circonstances, l’assassin de Jérôme Dutan n’aurait osé venir ainsi affronter la justice de son pays, à laquelle il avait un terrible compte à rendre, mais, dans l’état de bouleversement où se trouvaient toutes choses, il ne pouvait courir aucun danger, et il cédait à ce désir irrésistible qui obsède parfois les âmes les plus viles : le besoin de revoir les lieux où l’on a vécu et souffert.

D’ailleurs, on l’a vu, Justin Delon n’était pas un criminel ordinaire.

Perdu par Jeanne Reboul, déshonoré grâce à elle, il avait suivi la pente fatale sur laquelle la misérable l’avait placé, et après avoir passé tant d’années à l’étranger, il avait souvent pensé au moment où il pourrait se trouver en face de son ancienne maîtresse et d’Armand de Serville qu’il accusait de tous ses malheurs.

Mais, en s’alliant avec ceux, qui complotaient la ruine de la France, il songeait à sa propre vengeance plus encore peut-être qu’à l’œuvre sociale dont il était devenu un des adeptes.


III

Où le jeune et intéressant Louis trouve une position et retrouve une famille.



Ainsi que le jeune groom en disponibilité dont nous avons fait connaissance au commencement de ce récit sur le steamer le Prince-Impérial a daigné nous le faire savoir dans son aparté philosophique, la Fismoise, son honorable tante, demeurait Grande-Rue des Batignolles.

La digne femme occupait là, au no 82, une boutique d’une certaine étendue, où elle cumulait, comme l’avouait cyniquement son excellent neveu et malgré l’œil vigilant de la police, le triple métier de marchande à la toilette, de prêteuse sur gages et de receleuse.

Aussi son magasin avait-il un aspect étrange. C’était un capharnaüm rempli des objets les plus hétérogènes. On eût dit qu’un cataclysme arrivé au profit de la Fismoise avait jeté chez elle des échantillons de tout le commerce parisien.

Sur un carton entr’ouvert qui laissait voir un vrai cachemire presque neuf, il y avait des pistolets d’arçon ; sur un meuble de Boulle, plein de bibelots de prix, brillaient une casserole de cuivre et une paire de bottes vernies.

À côté d’un tableau d’une certaine valeur, c’étaient des gravures d’Épinal encadrées, puis des potiches et de la vaisselle, celle-ci dorée et armoriée, celle-là