Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dépareillée et ébréchée ; des pendules artistiques et des statuettes coiffées de chapeaux de femmes.

Puis des pipes, des nécessaires de voyage, des nattes de rotins, une peau d’ours, et pêle-mêle, étalés sur les rayons qui faisaient le tour de la pièce, des robes de soie, des chemises de batiste, des jupons brodés et des vêtements de grosse toile sentant d’une lieue leur confection dans quelque maison centrale.

Enfin, au milieu de tout cela, un bon grand fauteuil, qui était le trône de la Fismoise et qu’elle n’offrait que rarement, à quelques clients privilégiés.

Les autres se tenaient debout ou devaient se contenter d’un simple siège.

Le hasard des opérations de la marchande à la toilette faisait, il est vrai, que parfois ce siège était une chaise capitonnée, mais d’autres fois aussi un modeste escabeau.

Derrière cette boutique, où il n’était pas toujours facile de se frayer un passage, il y avait une autre pièce.

C’était la salle à manger de la brocanteuse et en même temps son salon de réception, lorsqu’il s’agissait de traiter une affaire intéressante avec quelques-uns de ses clients : ceux qui, par prudence ou par pudeur, ne tenaient pas à être vus du dehors.

Enfin, au fond de cette chambre, on trouvait, s’étendant sous l’escalier, une espèce de soupente qui servait à remiser des malles ou autres objets inutiles et encombrants ; mais l’entrée de ce trou obscur était complètement dissimulée par une vieille tapisserie en assez bon état.

On pénétrait dans cette salle à manger par la boutique et par une petite porte donnant dans le couloir de la maison, couloir qui conduisait de la rue à la cour et au pied de l’escalier desservant les étages supérieurs.

C’était au premier que la sœur de Jeanne Reboul avait son appartement privé, appartement meublé avec un tel luxe de meubles, de glaces et de pendules, qu’il était une véritable succursale du rez-de-chaussée.

Lorsque la Fismoise sortait pendant le jour, la porte de son magasin était fermée, et le soir, de bons et solides volets défiaient toute tentative indiscrète.

Cela était d’autant plus nécessaire que la maison avait un concierge absolument insouciant et que la porte de la rue restait ouverte presque toute la nuit. Aussi la marchande n’avait-elle rien économisé pour mettre ses richesse en sûreté.

C’est que, depuis plusieurs années, ses affaires avaient marché à merveille, malgré les quelques démêlés qu’elle avait eus çà et là avec la justice, mais dont elle était toujours sortie sans grand accroc, on ne savait par quel bonheur ou à l’aide de quelle protection occulte. Elle passait donc pour fort à son aise.

L’aînée des Méral n’avait pas quitté Paris pendant le siège ; toutefois les rigueurs de l’investissement ne l’avaient pas fait maigrir.

Elle avait plus de cinquante ans, mais c’était, après la guerre aussi bien qu’avant, une grosse commère, haute en couleur, aux allures carrées, au parler épicé de marchande à la Halle, et sachant tenir tête, sans reculer d’une semelle, aux gens de