Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/434

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— Fernande, tu n’as pas dix-neuf ans et j’en ai près de soixante ; tu es encore une enfant et je serai bientôt un vieillard ; tu étais ma fille bien-aimée, je t’ai faite ma femme ; je ne te demande qu’une seule chose, et le jour où je t’en demanderais davantage je te donnerais le droit de me mépriser : Grâce à moi tu as eu une jeunesse heureuse, tu le reconnais ; donne-moi en échange une vieillesse respectée.

La jeune femme ne répondit à ces dignes et loyales paroles qu’en passant ses bras autour du cou de M. de Rennepont, et en lui disant dans un chaste baiser :

— Mon ami, votre femme ne vous aimera pas moins que ne vous aimait votre enfant.

L’hôtel de Rennepont devint bientôt une des rares maisons fréquentées par Pétrus.

Il y avait trouvé une atmosphère honnête qui le faisait revivre, et si, par hasard, il se passait une semaine sans qu’il y fût venu, c’était le général lui-même qui lui reprochait son absence et qui, le prenant par la main, le conduisait auprès de sa femme, en la priant de hâter la guérison du pauvre malade et de le consoler.

Sarah commettait donc une calomnie infâme, lorsqu’elle affirmait que M. de Serville s’était séparé d’elle par amour pour Mme  de Rennepont, puisqu’au moment de sa rupture avec sa maîtresse, il n’avait même jamais entendu prononcer le nom de Fernande.

Pétrus était avec M. et Mme  de Rennepont dans les relations d’affectueuse intimité que nous venons de dire lorsque la guerre éclata, et le général, qui avait été appelé à un commandement à l’armée du Rhin, arriva un matin chez le peintre au moment où celui-ci l’attendait le moins.

Le petit hôtel que Pétrus occupait était une construction des mieux disposées pour un artiste. Il se composait, au rez-de-chaussée, d’une salle à manger et d’un petit salon ; au premier, d’un grand atelier, d’un fumoir et d’une chambre à coucher. Au-dessus se trouvaient les chambres des domestiques.

Le salon du rez-de-chaussée et l’atelier donnaient sur la rue ; le fumoir et la chambre à coucher prenaient jour sur le petit jardin qui s’étendait derrière l’hôtel et n’était séparé que par un mur d’une dizaine de pieds de hauteur d’un immense terrain vague, dont les constructeurs du voisinage avaient fait un chantier.

Au fond de ce jardin s’élevait un petit pavillon dont une partie avait été transformée en écurie tandis qu’Armand avait installé dans l’autre partie son véritable atelier de travail, celui de l’hôtel étant à plus proprement parler le grand salon de l’artiste.

Cette demeure était meublée avec un luxe sévère, qui disait au premier aspect que l’ami du général de Rennepont ne sacrifiait en rien au mauvais goût et au besoin de briller du jour.

Un large escalier, dont les murs étaient cachés par des tapisseries de haute lice admirablement conservées, conduisait au premier étage, jusqu’au vaste palier sur lequel on trouvait, à droite, la porte de l’atelier, à gauche celles de la chambre à coucher et du fumoir.