Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/448

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prennent la situation présente et soient disposés à sacrifier leurs opinions à l’intérêt du pays. Ce que chacun veut, c’est l’avènement ou le retour du régime qui lui donnera place et honneurs ; je dis honneurs au pluriel, et argent, argent surtout !

« Pendant ce temps-là, la démagogie se prépare, monte, monte toujours. Comme elle n’a rien à attendre de quelque gouvernement que ce soit, elle fait son possible pour qu’il ne s’en établisse aucun… afin de gouverner elle-même et de jouir à son tour. Pauvre pays, où on démolit sans cesse sans se demander quand et comment on reconstruira !

— Vous avez bien raison !

— Ah ! la question sociale, l’instruction gratuite et obligatoire, les associations ouvrières, la séparation de l’Église et de l’État ! Que sais-je encore ? Tout cela est superbe… en théorie. Ça enrichit deux ou trois rêveurs et une demi-douzaine de philosophes de mauvaise foi dont les éditeurs se ruinent : mais, voyez-vous, ce sont là autant de voiles hautes que les marins expérimentés ne font hisser qu’en temps calme. Alors, c’est sans danger ; tandis que si on en charge sa mâture lorsque l’ouragan gronde, il n’en faut pas davantage pour vous faire chavirer, et, quand on n’a pas de radeaux, pour vous engloutir !

— Parfait, parfait ! L’image est pleine de vérité, mais j’espère que vous exagérez un peu le péril.

— Il est plus imminent que vous ne le croyez. En attendant, me voilà forcé de nouveau de quitter Paris.

— Comment cela ?

— Je suis chargé de la réorganisation d’un corps d’armée dans le Midi.

— Vous emmenez Mme  de Rennepont ?

— Non pas ! Pauvre et chère Fernande, je ne veux pas aussi vite lui donner les ennuis d’une installation. Elle viendra me rejoindre dès que la chose sera possible. Du reste, elle ne saurait partir aussi brusquement. Vous ne m’en voudrez donc pas de vous prier de veiller sur elle quelques jours de plus.

— Vous ne pouvez douter de mon dévouement.

— Seulement, mon cher ami, veillez au grain ! Aux premiers cris de : « Vive la liberté ! » faites vos malles. C’est toujours comme ça que les révolutions commencent. Tiens, une visite !

— Une visite pour moi.

— Fernande avec Mlle  Dutan.

Le général, qui, depuis quelques instants, arpentait l’atelier tout en causant, venait de reconnaître par la fenêtre Mme  de Rennepont et Marie, qui descendaient de voiture.

M. de Serville s’empressa d’aller au-devant d’elles.