Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/453

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Lorsqu’il se retourna, l’Américain était déjà absorbé par un bronze antique dont la conservation le remplissait d’enthousiasme.

— Allons, n’abusons pas plus longtemps des instants de maître Pétrus, dit le médecin à son compatriote, et remercions-le de son gracieux accueil. À bientôt, n’est-ce pas, monsieur ?

Ces derniers mots s’adressaient au peintre, qui voulut reconduire ses hôtes jusque sur le pas de sa porte.

Il remonta ensuite dans sa chambre, où, tirant à lui le portrait de Fernande, véritable chef-d’œuvre, il se laissa aller à ses rêves en le contemplant avec amour.

Au même instant, le pseudo-William Burton répondait au docteur, qui lui avait demandé son opinion sur maître Pétrus :

— Ce que j’en pense, c’est que si la vie de cet homme pouvait suffire à ma vengeance et satisfaire ma haine, je l’aurais étranglé, de mes mains, tout à l’heure, devant vous ! Ne m’en demandez pas plus.

— Je vous ferai remarquer que je ne vous interroge pas. Ce que vous venez de me dire me suffit, et au delà. Vous haïssez M. de Serville, c’est le nécessaire, car tous nos moyens vous sembleront meilleurs, puisqu’en faisant mes affaires, je ferai les vôtres.

La haine que Justin Delon amassait dans son cœur depuis quinze ans s’était, en effet, réveillée tout entière.

Il avait voulu venir chez le fils de Mme  de Serville, certain que celui-ci ne reconnaîtrait pas l’ancien intendant de la Marnière, et lorsqu’il s’était trouvé en face de celui qui, en lui enlevant l’amour de Jeanne Reboul, avait aidé cette misérable, si inconsciemment que cela eût été, à le faire accuser de vol pour se débarrasser de lui, il avait failli céder à sa colère et se trahir par un acte de violence.

Mais, par un effort surhumain, il s’était dominé : il voulait qu’Armand souffrît à son tour comme il avait lui-même souffert jadis.

Aussi répondit-il au docteur :

— Oui, certes, vous pouvez compter sur moi, quoi que vous décidiez !

Une demi-heure plus tard, la Louve allait recevoir, griffonné au crayon sur le feuillet d’un carnet de poche, le renseignement suivant :


« Les lettres ne peuvent être que dans la chambre à coucher ; très probablement dans le petit meuble de Boulle qui s’y trouve entre les deux fenêtres. Je vous en enverrai la clef demain. »


Pendant ce temps-là, le portrait de Fernande en face de lui, Armand était tout à ses pensées d’amour. Il en fut subitement arraché par des exclamations de Kervan.

Or, comme depuis qu’il était entré rue d’Assas, jamais son fidèle serviteur n’en avait dit autant à la fois, il se précipita au haut de l’escalier pour avoir l’explication de ce fait anormal.