Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/457

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où nous l’avons laissé, s’enfuyant les mains sur ses poches si étrangement remplies.

Son premier soin, dès qu’il eut atteint le boulevard des Batignolles, ayant été de songer à un gîte, il prit instinctivement à droite pour aller du côté du parc Monceau, où foisonnaient les logeurs des gens de maison sans places : cochers et palefreniers surtout. Là, il entra dans le premier hôtel borgne qui s’offrit à lui.

Pour vingt sous qu’il paya d’avance, le maître du bouge lui donna une chambre, un lit avec des draps ombrés, une chaise, une cuvette ébréchée, un pot à eau sans anse et une serviette en toile à voile.

Mais Louis n’était pas difficile. Ce qu’il cherchait en ce moment, c’était la solitude.

Il ferma sa porte, s’assura qu’on ne pouvait le voir, ni par le trou de la serrure, ni par quelque fente de la cloison, ni à travers les rideaux en calicot de la fenêtre, et, ces précautions prises, il vida lentement ses poches, sourit en reconnaissant que, des trois montres qu’il avait empruntées à sa tante, l’une était en or et les deux autres en argent, eut un regard de mépris pour le malencontreux cornet acoustique qu’il avait supposé, grâce à l’obscurité, un objet précieux, et un éclair de satisfaction pour les pistolets ; puis il se laissa tomber sur son lit et se mit à réfléchir.

Le digne neveu de la Fismoise était un garçon sérieux et un grand philosophe. Après la manière un peu leste dont il venait de se conduire avec sa tante, devait-il retourner chez elle et affronter sa colère ? C’était hasardeux !

D’un autre côté, s’il n’y retournait pas, il perdait la position qu’elle pouvait lui faire avoir auprès de M. de Fressantel. Or M. de Fressantel l’attirait ; il lui semblait qu’il s’entendrait à merveille avec lui et son ami du Charmil.

Il y avait bien un moyen de reconquérir d’un seul coup la bienveillance de la marchande à la toilette, c’était de lui rendre ses montres, ses chemises, ses foulards et le reste, mais nous sommes obligé d’avouer que notre héros n’y songea pas un seul instant, et que lorsqu’il s’écria : « Imbécile que je suis ! » avec autant d’orgueil qu’Archimède avait dit : Eureka, c’était de tout autre chose qu’il s’agissait.

Louis, qui avait une excellente mémoire, venait tout simplement de se rappeler la conversation qu’avait eue l’ex-maîtresse de M. de Serville avec la Fismoise, puis la promesse que cette dernière avait faite à la comédienne de lui envoyer son neveu pour qu’elle le recommandât à M. de Fressantel, et il se disait que, somme toute, il n’avait pas besoin de sa tante pour se rendre chez l’amie de la Louve.

Ces réflexions faites et ce parti pris, le jeune chenapan s’endormit du sommeil de l’innocence.

Le lendemain matin, après n’avoir été bercé que par des songes venus jusqu’à lui par la porte d’ivoire, il s’éveilla frais et dispos, et se mit en mesure de se présenter avec tous ses avantages chez Sarah Bernier.

Il commença par avertir son logeur en le payant d’avance, qu’il gardait sa chambre pour toute la semaine, et comme cette lourde dépense l’avait à peu près mis à sec, attendu que sa fortune se composait des dix francs de sa tante, il sortit pour se livrer à une opération de libre échange.