Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/458

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Le résultat de cette transaction fut de troquer, chez un confrère de la Fismoise, ses deux montres en argent et ses foulards pour une cravate blanche immaculée et ornée d’un fer à cheval en acier, un superbe gilet de peluche orange et trois pièces de cent sous.

Cela fait, il confia sa chevelure quelque peu rebelle à un barbier du voisinage, et rentra chez lui pour achever sa toilette.

Une demi-heure plus tard, grâce à quelques coups de brosse intelligents, il sortait de son garni dans une tenue à peu près irréprochable, pourvu qu’on n’y regardât pas de trop près, et il se dirigeait, de ce pas grave qui est l’allure de tout domestique de bonne maison, vers la demeure de la comédienne.

Celle-ci habitait à l’extrémité de la rue de la Pépinière, au troisième étage d’un immeuble suffisamment bien occupé.

— Veuillez dire à Mme  Bernier que j’ai une commission à lui faire de la part de Mme  de Fismoise, répondit Louis à la femme de chambre qui était venue ouvrir et lui avait demandé ce qu’il désirait.

— Faites entrer, Justine, commanda Sarah, qui, au coup de sonnette, avait entr’ouvert la porte du petit salon où elle se trouvait, et que l’anoblissement de la brocanteuse avait fait sourire, bien qu’elle ne fût certes pas dans une disposition d’esprit des plus gaies.

L’ancienne maîtresse de Pétrus, en effet, n’avait exprimé que bien faiblement à la Louve la rancune qu’elle avait conservée de la conduite du peintre envers elle.

Loin d’amoindrir ce sentiment, le temps l’avait augmenté ; il était devenu de la haine, surtout depuis qu’elle savait que Mme  de Rennepont était restée à Paris pendant le siège, confiée par son mari lui-même à l’homme qu’elle croyait son amant.

De plus, sa scandaleuse aventure avait nui à ses succès de théâtre, et la guerre était venue achever sa débâcle, en lui enlevant ses amis les plus précieux et en lui rendant M. de Fressantel complètement à bout de ressources.

Elle avait deux buts : se venger de M. de Serville, en gagnant, par cette vengeance même, une somme importante qui la remettrait à flot, et aider le gentilhomme ruiné à épouser sa cousine, dans la certitude où elle était que ce que Gaston aimait chez la malheureuse veuve, c’était seulement les cent mille livres de rente que lui avait données sa maternité, et que, par conséquent, une fois marié, il laisserait promptement là sa jeune femme pour revenir auprès d’elle, Sarah Bernier.

On conçoit donc avec quelle impatience la misérable attendait des nouvelles de la Fismoise qui lui avait promis son concours, et combien son nom résonna doucement à son oreille lorsqu’elle l’entendit prononcer par son envoyé.

S’empressant d’obéir à sa maîtresse, Justine introduisit Louis dans le boudoir.

Ensuite, camériste bien dressée, elle sortit en fermant la porte derrière elle ; mais, vraie fille d’Ève, fit le tour par une pièce voisine dans le but d’aller écouter et regarder par le trou de la serrure.