Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/468

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je ne sais ! Ce matin, pendant que Jean attelait, je l’ai entendu prononcer des paroles qui m’ont épouvantée.

— Que disait-il donc ?

— Il parlait de son fils, sergent au 88e, et il racontait la scène qu’il avait eue la veille avec lui. Il paraît que ce jeune homme avait dit devant son père que le gouvernement ne devait pas compter sur l’armée, que tous les généraux étaient des traîtres et que bientôt le peuple serait maître de Paris, car jamais les soldats ne tireraient sur leurs frères. Jean s’est fâché et a chassé son fils. Tout cela m’a effrayée, et je viens vous demander de me conduire auprès de M. de Rennepont.

À cette prière, le peintre n’avait pu s’empêcher de pâlir, car cette prière le menaçait de la plus douloureuse séparation ; mais, faisant appel à tout son courage :

— Fernande, répondit-il, en prenant les mains de son amie dans les siennes, sans que celle-ci fît un mouvement pour les retirer, calmez-vous. Les choses ne sont pas aussi graves que vous le croyez. Cependant, je suis de votre avis ; j’allais aller chez vous pour vous proposer moi-même de partir.

— Oh ! oui, le plus-tôt possible !

— Quand vous voudrez ! Aujourd’hui, demain !

— Le temps de mettre deux robes dans une malle. Mais vous, peut-être ne pouvez-vous vous éloigner aussi vite ?

— Moi ! Mon bagage sera plus léger encore que le vôtre ; je n’ai ici que deux objets précieux.

— Deux seulement ! Lesquels donc ?

— Vos lettres et quelque chose que je veux vous faire voir. Venez avec moi.

Armand avait pris sous le sien le bras de Mme  de Rennepont, que ces mots « vos lettres » avaient fait tressaillir, et il l’entraînait doucement en dehors de l’atelier, vers sa chambre à coucher.

En traversant le palier, il n’aperçut pas le matelot qui le guettait, caché derrière les draperies de l’escalier, et moins encore il l’entendit murmurer, en suivant des yeux la générale :

— Nom d’un sabord ! la jolie créature ! C’est dommage tout de même de lui faire du chagrin ; mais les affaires sont les affaires, comme dit mon honorable tante !

— Où me menez-vous ? demanda la jeune femme, en hésitant à franchir le seuil de la pièce dont l’artiste avait ouvert la porte.

— Là où il n’a jamais été pensé qu’à vous, là où j’ai vécu avec vous de longues heures, où j’ai oublié, grâce à votre image, toutes mes infortunes.

Et précédant Mme  de Rennepont dans la chambre, il tourna vers elle son portrait, qui faisait face à la fenêtre.