Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/474

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cuteur des hautes œuvres qu’il fût, avait reculé devant cette horrible besogne. Le frère de la Fismoise avait tout simplement dû la vie à sa phénoménale gibbosité.

Dans les bagnes, dans les maisons centrales dont il avait été si souvent l’ornement et où son histoire était connue, on lui avait donné le sinistre surnom de Trompe-la-Veuve. Il avait été le premier à en rire et à s’en parer avec orgueil.

Aussi n’était-ce pas un cri de terreur, mais bien de colère qu’il avait poussé, en voyant apparaître tout à coup devant lui Armand de Serville, qui, en entendant parler dans son jardin, au moment où il rentrait, n’avait pas hésité à en ouvrir la porte.

Se voyant menacé de perdre le fruit du vol comploté entre lui et son neveu, Pierre, plutôt que de fuir, s’était élancé sur le peintre, et, avant que celui-ci ait eu le temps de se mettre sur la défensive, il l’avait frappé à l’épaule du long couteau dont il était toujours armé.

Mais Armand était vigoureux et brave ; malgré sa blessure, saisissant dans ses deux mains le poignet du forçat, il avait appelé au secours, en roulant avec son assassin sur le sable.

C’est alors que le palefrenier, réveillé par le bruit, était accouru et que, d’un coup de pelle vigoureusement asséné, bien qu’un peu au hasard, il avait rejeté le bandit sur le sol, au moment même où il venait de s’arracher à l’étreinte désespérée de M. de Serville et allait s’enfuir.

Tout à la défense de son maître, Bernard n’avait vu passer Louis que comme une ombre et n’avait pu se mettre à sa poursuite.

L’artiste s’était relevé, mais il pouvait à peine se tenir debout. Non seulement sa blessure le faisait horriblement souffrir, mais il perdait beaucoup de sang et sentait que ses forces diminuaient.

Appuyé contre la porte, il appelait Kervan et Louis lui-même à son secours, car il ne se rendait pas compte encore de l’agression dont il venait d’être la victime.

Nous savons pourquoi ni Kervan ni son pseudo-neveu ne répondaient.

Quant au palefrenier, il s’était penché sur le forçat qui râlait à terre et dont l’obscurité ne lui permettait de voir ni les traits, ni le coup qu’il avait reçu. Il ne voulait pas le laisser là, dans la crainte qu’il ne fût pas aussi grièvement blessé qu’il le paraissait et ne profitât de son éloignement pour se rejeter sur lui ; d’un autre côté, il comprenait que ses soins étaient indispensables à M. de Serville.

— Ma foi, tant pis ! dit-il tout à coup, pris d’une inspiration subite ; s’il en meurt, il n’y aura pas grand mal !

Et, ouvrant un large soupirail qui se trouvait à la portée de sa main et était celui de la cave au charbon, il y traîna Méral et, le poussant du pied, le lança dans le vide.

Cela fait, il referma soigneusement l’ouverture et courut à son maître.

Celui-ci, appuyé contre le mur, se sentait défaillir.

Bernard le prit dans ses bras et pénétra dans la maison.