Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/480

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Aussi lui tendit-elle affectueusement la main, en lui demandant ce qu’il avait.

— Ce que j’ai ? répondit-il avec des hésitations et en arrêtant ses yeux humides sur sa jolie parente ; je devrais à vous et à moi-même de le taire, mais je n’ai pas ce courage.

— Quoi donc ! Vous m’effrayez, dit naïvement la jeune femme, en le forçant à s’asseoir auprès d’elle. N’avez-vous pas confiance en moi ?

— Tenez, Mathilde, gémit alors le baron, je vais vous dire toute la vérité. Eh bien ! ce qui m’émeut ainsi, c’est la pensée que vous allez partir et que je ne vous verrai plus.

— Nous nous reverrons, au contraire.

— Oui, mais quand ? Dans plusieurs semaines, dans plusieurs mois. Or je me suis fait une si douce habitude de vous voir presque chaque jour, d’entendre le son de votre voix, de partager vos peines, de vivre un peu de votre existence enfin, que je ne pourrai plus, je le sens bien, me passer de vous.

— Gaston !

— Oui, Mathilde, oui, je me suis laissé entraîner malgré moi, je me suis senti envahir par un sentiment dont j’aurais dû me défier. Maintenant, je vous aime !

À ces mots, Mme de Fressantel se leva brusquement en arrachant à son neveu sa main qu’il avait saisie. Debout en face de lui, elle le regardait avec plus de surprise encore que d’indignation.

— Oui, méprisez-moi, chassez-moi, reprit le baron avec une sorte d’égarement. Que voulez-vous ? je vous aime à en mourir.

— Gaston, interrompit la jeune femme doucement, mais avec fermeté, je ne vous méprise ni ne vous chasse : je vous plains. C’est encore plus à mes vêtements de deuil et à la mémoire de mon mari qu’à moi-même que vous venez de manquer de respect. Cependant puisque, tôt ou tard, vous deviez en arriver à cet aveu, il vaut mieux pour vous et pour moi que vous l’ayez fait aujourd’hui. Nous y gagnerons tous les deux : vous, de ne pas vous bercer d’espérances qui ne peuvent se réaliser ; moi, de ne plus avoir à craindre de semblables paroles.

— Je vous en prie !

— Laissez-moi continuer. Non, je n’oublierai jamais l’homme dont je porte le nom. Lorsqu’on a été la femme d’un soldat mort glorieusement pour son pays, c’est là un honneur dont on doit être jalouse. Soyez certain que je ne me remarierai pas. Je suis seulement surprise que vous ayez douté de moi à ce point de croire qu’il pourrait en être autrement. Séparons-nous.

— Alors je ne vous verrai plus.

— Je ne vous dis pas cela. Laissez le calme se faire dans votre esprit ; et quand vous aurez mieux compris tout ce qui nous sépare, lorsque vous aurez vaincu ce sentiment qui ne saurait être bien profond, ayant grandi si rapidement…