Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/482

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de sa propre situation, ne vint pas de la soirée, et le baron retourna chez lui plus désespéré que jamais.

Le lendemain matin, il reçut le petit mot de sa tante, et au lieu d’être touché des gracieuses lignes de la jeune femme, il ne puisa dans leur lecture qu’une exaspération nouvelle. Il froissait encore dans ses mains les débris de cette lettre qu’il avait déchirée avec rage, lorsque du Charmil entra tout à coup.

— Ah ! diable ! ça va mal, dit le jeune homme en devinant facilement, à la physionomie bouleversée de son ami, ce qui se passait dans son esprit.

— Ça va très mal, répondit Gaston. Tu m’as donné un mauvais conseil ! La jolie veuve m’a flanqué à la porte, et elle part aujourd’hui, décidée à pleurer mon oncle toute sa vie.

— Oh ! il ne faut jamais jurer de ces grands serments-là. Je ne connais que la veuve de Mausole qui ait été inconsolable !

— Je te conseille de rire. De plus, Sarah n’a pas vu la personne en question, et je n’ai pas le sou !

— Voilà qui est plus grave, parce que c’est plus positif. À ta place, je ferais argent de tout et je me mettrais à la poursuite de Mme  de Fressantel. Vois-tu, mon cher ami, les femmes finissent par donner à la lassitude ce qu’elles refusent à l’amour. Ta tante sait que tu l’aimes ou elle le croit, ce qui est tout un, ce qui vaut même mieux, car l’homme véritablement épris ne fait que des sottises, tandis que lorsqu’il n’est amoureux que des beaux yeux de la cassette, il reste plus calme et, par conséquent, plus maître de dresser ses batteries selon les circonstances. Ta tante croit que tu l’aimes, c’est un pas énorme fait, et entre nous, si honnête qu’elle soit, elle est femme ; je crois donc qu’elle t’en voudrait peut-être davantage de te soumettre aveuglément à ses ordres que de t’apercevoir un beau jour modestement caché dans le voisinage de son refuge.

— Tu as raison. Mais toi, que vas-tu faire ?

— Oh ! moi, j’ai de grands projets. Je ne quitte pas Paris ; j’ai idée que les événements vont prendre une telle tournure que ceux qui n’ont pas comme toi à battre en brèche une parente de cent mille livres de rente et n’ont rien à perdre, pourront tirer leur épingle du jeu, s’ils le veulent bien.

— Tu vas te lancer dans la politique ! Il ne te manquait plus que cela ! Qu’espères-tu devenir ?

— Tout, mon cher ami. Je suis avocat ou à peu près ; je n’ai pas de scrupules, je me sens rempli d’ambition et j’ai besoin de faire fortune. Voilà quatre leviers qui vous hissent haut lorsqu’on sait s’en servir. Il n’y a qu’une chose qui me manque.

— Laquelle donc ? Tu me parais complet au contraire.

— Non ! Je ne m’appelle pas Jules.

— Ah ! c’est vrai !