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artistes ; puis, vers onze heures, après s’être arrêtés un instant à Tortoni et au Helder, pour y récolter de mauvaises nouvelles auxquelles il ne voulurent pas ajouter foi, — on parlait de la descente de Belleville dans le centre de Paris, — ils se dirigèrent à pied vers la rue de Monceau.

Une demi-heure plus tard, ils faisaient leur entrée dans le salon de la comtesse Iwacheff.

La réunion semblait devoir être des plus agréables. Les invités, hommes distingués et presque célèbres pour la plupart, et femmes galantes, toutes jeunes et jolies, y étaient déjà nombreux.

Lorsque M. de Fressantel, après avoir salué la Louve, se mit à la recherche de Sarah Bernier, il l’aperçut qui causait à demi-voix et à l’écart avec un étranger, dont la beauté et la distinction lui donnèrent une pointe de jalousie, quoiqu’au fond il ne fût pas éperdument épris de la comédienne.

Mais elle lui avait coûté fort cher ; c’était pour lui cet objet de luxe dont on ne veut se défaire à aucun prix pour ne pas accuser sa gêne, et il y tenait d’autant plus qu’il savait bien qu’elle lui tournerait le dos le jour où elle n’aurait plus rien à espérer de lui.

Sarah lut sans doute tout cela sur la physionomie de son amant, car elle s’empressa de l’inviter d’un geste gracieux à s’approcher d’elle.

— Vous n’êtes pas indiscret, mon cher Gaston, lui dit-elle en lui tendant la main. J’ai l’honneur de vous présenter M. le marquis d’Almeida, un des vieux amis de notre excellente comtesse.

M. d’Almeida était tout simplement une de ces nombreuses connaissances que Jeanne Reboul avait faites dans ses pérégrinations à travers l’Europe. Il traversait Paris et n’avait pas manqué de venir lui rendre visite. Il l’avait rencontrée en Belgique, pendant la guerre.

Pour répondre à la présentation dont il venait d’être l’objet, le marquis s’inclina courtoisement devant M. de Fressantel. Celui-ci rendit à l’étranger son salut, et ils causèrent tous trois des choses du jour.

M. d’Almeida ne croyait ni à un mouvement insurrectionnel sérieux, ni aux canons de Montmartre.

— Votre gouvernement, voyez-vous, monsieur, finit-il par dire à son interlocuteur, me paraît d’une insigne maladresse. On croirait qu’il agit dans le seul but de s’aliéner tous les Parisiens. Qu’il laisse donc à la garde nationale ces canons dont elle est fort embarrassée, et qui, au fond, ne menacent personne ; ou bien qu’il en fasse une cause de ridicule pour leurs possesseurs !

— Comment cela ? observa l’amant de Sarah.

— D’une façon bien simple. J’entendais hier un journaliste, ancien officier de marine, proposer à l’amiral Challié d’en finir en un instant. « Donnez-moi seulement cent matelots armés de maillets et de clous, lui disait-il. Une belle nuit, j’escaladerai la butte Montmartre, comme si je montais à l’abordage. Un quart d’heure