Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/536

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Arrivé sur le seuil de sa porte, il aperçut tout à coup Marie Dutan.

Il allait lui adresser la parole, mais la jeune fille lui imposa silence en portant vivement un doigt à ses lèvres, et lorsqu’il passa à ses côtés, elle affecta de ne pas le connaître.

Puis elle se dirigea vers la voiture de place qui l’avait amenée. Elle allait y monter, lorsqu’elle s’entendit appeler.

Elle se retourna et reconnut Kervan.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? bégaya le vieux serviteur d’une voix étranglée. M. Armand arrêté ! Mon Dieu ! que vont-ils faire de lui ? Tenez, voici un papier que le capitaine a laissé tomber dans l’atelier.

— Calmez-vous, mon ami, dit Marie en ouvrant le chiffon que lui tendait le Breton.

Elle étouffa aussitôt un cri de surprise.

Sur cette feuille qu’elle reconnaissait pour une de celles du carnet du docteur Harris, elle venait de lire, sans signature, mais d’une écriture qui lui était familière depuis plusieurs mois :


« Il faut vous débarrasser immédiatement de M. Armand de Serville et faire partir Pierre avec les lettres. »


Plus de doute, le docteur était l’auteur de tout le mal, ainsi qu’elle en avait eu le pressentiment.

— Rentrez chez vous, Kervan, et prenez courage, reprit-elle en s’adressant au vieillard ; moi, je vais veiller sur votre maître.

Et sautant dans sa voiture, elle dit à son cocher, en lui désignant les soldats et leur prisonnier qui allaient disparaître au bout de la rue d’Assas :

— Il y a cent francs pour vous si vous ne perdez pas ces hommes de vue.

Si communard qu’il pût être, c’était là, pour l’automédon, une trop bonne aubaine pour qu’il ne s’efforçât pas de la gagner.

Deux heures plus tard. Marie Dutan rentrait chez elle après avoir vu Armand disparaître sous la voûte d’entrée de la prison de la Santé, mais elle n’avait pas entendu le chef de l’escorte du peintre lui dire à l’oreille :

— Chacun son tour, monsieur de Serville ; souvenez-vous de la Marnière et du malheureux que Jeanne Reboul et vous avez déshonoré jadis.

Seulement alors l’artiste avait reconnu Justin Delon, et comprenant à quels ennemis Mme  de Rennepont et lui avaient affaire, il s’était senti envahi par une indicible épouvante.

Quant à Marie, décidée à tenter l’impossible pour sauver ceux qu’elle aimait, et