Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/538

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— La Commune ne fait rien d’arbitraire, s’écria le jeune homme d’un ton théâtral, et puisque vous le prenez de la sorte, citoyen, on va tout simplement vous coffrer… en attendant mieux.

— Dites-moi au moins !…

— Rien du tout !

Et il poursuivit, en s’adressant aux gardes qui entouraient le prisonnier :

— Écrouez le citoyen Serville à la prison de la Santé. S’il résiste ou tente de s’enfuir, brûlez-lui la cervelle !

L’artiste était pâle de colère et certes, s’il n’avait pas songé à celle qu’il aimait il se serait jeté sur le jeune communard pour l’étrangler, au risque de payer de sa vie cet acte de justice, mais il comprit que toute lutte serait inutile. Le représentant de Raoul Rigault avait sur sa table un revolver dont il n’aurait pas hésité à se servir, et il se sentait serré de près par ses gardes.

Alors, sans ajouter un seul mot, il fit signe aux fédérés qu’il était prêt à les suivre, et, reprenant sa place au milieu d’eux, il sortit la tête haute.

Que le lecteur ne s’imagine pas que nous traçons ici un tableau de fantaisie et que, par esprit de parti ou pour le besoin de notre drame, nous assombrissons les teintes.

C’est absolument ainsi que les choses se passaient dès les premiers jours à la Préfecture de police, mais aujourd’hui que bien des années se sont écoulées depuis cette époque, nous ne voulons pas revenir sur ce passé douloureux, étant de ceux qui préfèrent oublier le mal.

M. de Serville, qui ne se doutait pas de la situation où était Paris depuis deux jours, fut aussi surpris que furieux d’être ainsi séparé, pour longtemps peut-être, de ceux qui comptaient sur lui.

Quand il se vit enfermé à la Santé, après avoir reconnu dans celui qui l’avait arrêté l’ex-intendant de la Marnière, il pensa devenir fou. Il ne reprit un peu de courage qu’en s’apercevant du nombre d’hommes honorables, qui, comme lui, étaient prisonniers, sans connaître les causes de leur arrestation. Néanmoins, il passa une nuit terrible.

La pensée que Fernande était seule, livrée aux misérables qui avaient juré sa perte, le torturait, et il est certain qu’il se serait livré à quelque acte de violence pour tenter de fuir, s’il n’avait reçu le lendemain matin quelques lignes qui le rassurèrent un peu.

Un des gardiens, en ouvrant sa cellule, lui glissa un billet qu’il reconnut aussitôt pour être de l’écriture de Mlle Dutan.


« Du calme, de la patience, lui écrivait la jeune fille ; j’ai vu votre amie et je vous sauverai tous deux. »


C’est que Marie, elle, n’avait pas perdu la tête.

La volonté de sauver Armand et d’être utile à Mme de Rennepont, de lui prouver