Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/550

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— J’avais bien raison de ne pas douter de votre dévouement, mon ami, reprit la comédienne vivement émue. Pouvez-vous quitter votre travail ?

— Oui, certes. À cette heure, il ne viendra plus personne et je suis libre. Me Labbé est à Versailles et m’a confié son étude, que je n’ai qu’à défendre contre les étranges autorités nouvelles. Du reste, j’ai mis à l’abri tout ce qu’il y avait ici de précieux.

— Alors sortons ensemble ; je vous dirai chez moi ce que je veux réclamer de votre amitié.

Cinq minutes après, Marie Dutan et Philidor remontaient la rue Notre-Dame-de-Lorette pour gagner la rue La Bruyère.

Pendant ce temps-là le neveu de la Fismoise, ainsi que nous l’avons dit plus haut, s’en allait tranquillement aux Batignolles.

Si pressé qu’il fût d’arriver chez sa tante, il ralentit cependant le pas dès qu’il eut atteint le boulevard de Clichy.

Là, il ne continua sa route qu’en interrogeant, pour ainsi dire, chaque coin de rue, tant il craignait à chaque instant de voir apparaître le terrible Pierre.

Ses terreurs augmentaient naturellement au fur et à mesure qu’il se rapprochait du domicile de la Fismoise, et, lorsqu’il l’eut atteint, prudent et rusé comme un chasseur indien, il ne se décida à entrer dans la boutique qu’après s’être assuré par la vue et par l’ouïe que sa tante s’y trouvait tout à fait seule.

— Quoi ! te voilà, vaurien ! s’écria-t-elle en reconnaissant son digne neveu.

— Moi-même, ma bonne tante, répondit Louis ; mais ne perdons pas de temps à nous dire des choses désagréables. Avez-vous vu mon oncle ?

— Il était resté plusieurs jours sans mettre les pieds ici, mais il est venu il y a une heure. C’est maintenant un gros personnage. Il est galonné sur toutes les coutures et a de l’argent plein ses poches. Il a dû faire quelque mauvais coup.

On voit que Françoise ignorait le drame qui s’était passé rue de Monceau.

Aucun des domestiques de la comtesse Iwacheff ne connaissant ses liens de parenté avec la marchande à la toilette, celle-ci n’avait pu être informée de rien, et on conçoit aisément que le forçat ne s’était pas vanté de sa monstrueuse expédition, car il savait que la Fismoise avait une véritable affection pour sa sœur.

— Est-ce que tu cherches Pierre ? demanda la brocanteuse.

— Au contraire, s’écria Louis, bien qu’il fût un peu rassuré sur les dispositions de son oncle depuis qu’il le savait en fonds. Saperlipopette ! s’il est riche et galonné, il ne doit plus avoir de regards que pour les femmes, monsieur l’Adonis.

— C’est qu’il m’a promis de revenir ce soir après son dîner, avant de partir pour Versailles.

— Comment, pour Versailles ! Que diable mon excellent oncle va-t-il faire là-bas ? Il ne s’imagine pas qu’il passera inaperçu aux barrières.