Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/95

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tout. J’aurais dû redouter pour votre cœur de vingt ans le voisinage de cette jeune fille trop belle ; mais elle, elle est impardonnable !

— Que voulez-vous dire ?

— Que Mlle  Reboul aurait dû être arrêtée par la pensée du chagrin immense qu’elle me causerait, car elle ne pouvait oublier que cet amour serait sans issue.

— Sans issue ; mais je n’ai jamais eu d’autre intention que celle de faire de Jeanne ma femme.

— Votre femme ! Mlle  Reboul ! s’écria Mme  de Serville avec une expression de telle épouvante que son fils en tressaillit.

— Oui, ma femme, répéta-t-il cependant ; non seulement parce que je l’aime, mais aussi et plus encore peut-être parce que je lui dois cette réparation !

— Cette réparation ! Oh ! j’ai mal entendu, mon fils ; ce n’est pas possible ; Mlle  Reboul n’a pas oublié à ce point le respect qu’elle doit à cette maison où elle a été recueillie.

— Jeanne sera mère dans trois mois.

Comme si ses forces ne lui permettaient pas d’en entendre davantage, la pauvre femme se laissa tomber dans un fauteuil. Le désespoir était peint sur son visage.

— Ma mère ! lui dit Armand en s’agenouillant auprès d’elle.

— Oh ! mon fils, laissez-moi, lui répondit-elle, en se relevant brusquement.

Et, se dirigeant vers la porte, elle ajouta, en voyant que le jeune homme la suivait :

— Restez ici, je le veux !

L’amant de Jeanne n’osa pas enfreindre cet ordre, qui lui avait été donné avec un regard sévère, et Mme  de Serville gagna rapidement la chambre de la jeune fille, qui attendait cette visite avec terreur.

Son front pâle dans ses deux mains, elle semblait courbée sous le poids de la honte.

Sa bienfaitrice fit un effort pour vaincre la pitié qui s’éveillait en son cœur, à la vue de celle dont il lui semblait que la faute était un peu l’œuvre de sa propre imprudence, et elle lui dit :

— Mademoiselle, mon fils vient de m’avouer la triste vérité. Je ne vous parlerai pas de ma profonde douleur ; elle n’aggrave ni n’amoindrit une situation aussi pénible qu’inextricable. Vous ne pouvez demeurer ici : qu’allez-vous devenir ? Malgré la faute que vous avez commise, je conserve pour vous assez d’estime encore pour ne pas supposer que vous avez pu croire un mariage possible entre Armand et vous.

Jeanne ne répondit que par un geste négatif de la tête et par un sanglot.

Touchée de cette résignation, Mme  de Serville poursuivit moins durement :

— Vous ne devez plus revoir mon fils ; il partira ce soir même. Cette séparation sera mon châtiment à moi. Je déciderai ensuite de votre sort. Si vous m’obéissez aveuglément, je ne vous abandonnerai pas, soyez-en certaine.