Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/96

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— Je ne demande rien, madame, je suis indigne de vos bontés, soupira la jeune fille. Pardonnez-moi ; je ne croyais pas faire mal, je l’aimais tant !

— Pauvre enfant ! pensa la trop bonne mère ; dont la colère avait déjà fait place à la compassion.

Aussi, se rapprochant davantage de Jeanne, ajouta-t-elle presque avec douceur :

— Du courage, mademoiselle ; Dieu vous pardonnera ainsi que je suis disposée à le faire.

Puis elle s’éloigna et, peu d’instants plus tard, retrouvant sa fermeté, elle imposait à son fils, malgré ses supplications et ses pleurs, de quitter immédiatement la Marnière.

Un homme de confiance allait le conduire à Douai, chez un des amis de sa famille. Il attendrait là les ordres de sa mère.

La séparation de Mme de Serville et de son fils fut déchirante, mais la mère fut inflexible, et le dernier regard de l’amant de Jeanne, au moment où la voiture qui l’emportait franchit la grille du château, fut pour la fenêtre de la chambre où son cœur lui montrait mourante celle qu’il aimait.

Quelques jours après, Mlle Reboul lui paraissant un peu remise de la secousse pénible qu’elle avait ressentie, sa protectrice décida son départ pour Reims, et la jeune fille quitta la Marnière presque secrètement, en compagnie du docteur qui s’était chargé de l’installer dans une maison d’accouchement et de pourvoir à tous ses besoins.

Jeanne était là, dans l’isolement, depuis à peu près un mois, lorsqu’un matin, elle lut dans un journal de la localité la condamnation de Justin Delon en trois années de prison et cinq ans de surveillance.

Traduit devant la cour d’assises de la Marne, le malheureux s’était à peine défendu ; mais son avocat n’avait pas épargné Mlle Reboul, dont le réquisitoire exaltait au contraire la vertu, pour rendre l’accusé plus indigne encore de toute pitié.

Sachant à quoi s’en tenir sur la culpabilité de son ancien amant et ramenée à une appréciation plus morale des faits par son renvoi du château, ainsi que par sa séparation d’Armand, la jeune femme subit un instant l’influence de ce remords passager que provoque dans les âmes les plus viles l’insuccès même d’une mauvaise action, mais cette impression disparut bientôt à la lecture d’une lettre qui lui parvint par une voie inconnue.

Cette lettre était de M. de Serville.

Avant de quitter Douai, il avait pu, moyennant beaucoup d’argent, envoyer à la Marnière un homme qui, après avoir assisté au départ de Jeanne, l’avait suivie à Reims et facilement retrouvée.

« Ma chère bien-aimée, lui écrivait-il, entre mille autres protestations passionnées, ma mère a refusé de m’expliquer pourquoi elle s’oppose à notre mariage, et il m’a fallu m’éloigner de toi sans te voir une dernière fois, mais ne perds pas courage, je ne l’oublierai jamais, je te le jure de nouveau.