Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 2 Les Apotres, Levy, 1866.djvu/400

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

spirant tour à tour la sérénité et le désespoir, pénétré de ce sentiment profond de la destinée humaine qui manqua toujours aux Grecs. Ceux-ci, en vrais enfants qu’ils étaient, prenaient la vie d’une façon si gaie, que jamais ils ne songèrent à maudire les dieux, à trouver la nature injuste et perfide envers l’homme. De plus graves pensées se firent jour chez les philosophes latins. Mais, pas mieux que la Grèce, Rome ne sut faire de la science la base d’une éducation populaire. Pendant que Cicéron donnait avec un tact exquis une forme achevée aux idées qu’il empruntait aux Hellènes ; que Lucrèce écrivait son étonnant poëme ; qu’Horace avouait à Auguste, qui ne s’en émouvait pas, sa franche incrédulité ; qu’un des plus charmants poëtes du temps, Ovide, traitait en élégant libertin les fables les plus respectables ; que les grands stoïciens tiraient les conséquences pratiques de la philosophie grecque, les plus folles chimères trouvaient créance, la foi au merveilleux était sans bornes. Jamais on ne fut plus occupé de prophéties, de prodiges[1]. Le beau déisme éclectique de Cicéron[2], continué et perfectionné encore par Sénè-

  1. Virgile, Egl., iv ; Georg., I, 463 et suiv. ; Horace, Od., I, ii ; Tacite, Ann., VI, 12 ; Suétone, Aug., 31.
  2. Voir, par exemple, De republ., III, 22. cité et conservé par Lactance. Instit. div., VI, 8.