Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 4 Antechrist, Levy, 1873.djvu/246

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qui, attachée au poteau, a subi les hideux embrassements de la Bête, portera cette affreuse image avec elle dans l’éternité.

Ce jour fut également celui où se créa, par une antithèse étrange, la charmante équivoque dont l’humanité a vécu des siècles et en partie vit encore. Ce fut une heure comptée au ciel que celle où la chasteté chrétienne, jusque-là si soigneusement cachée, apparut au grand jour, devant cinquante mille spectateurs, et posa comme en un atelier de sculpteur, dans l’attitude d’une vierge qui va mourir. Révélation d’un secret qu’ignora l’antiquité, proclamation éclatante de ce principe que la pudeur est une volupté et à elle seule une beauté ! Déjà nous avons vu le grand magicien qu’on appelle l’imagination, et qui modifie de siècle en siècle l’idéal de la femme, travailler incessamment à mettre au-dessus de la perfection de la forme l’attrait de la modestie (Poppée ne régna qu’en s’en donnant les dehors) et d’une humilité résignée (là fut le triomphe de la bonne Acté). Habitué à marcher toujours à la tête de son siècle dans les voies de l’inconnu, Néron eut, ce semble, la primeur de ce sentiment, et découvrit, en ses débauches d’artiste, le philtre d’amour de l’esthétique chrétienne. Sa passion pour Acté et pour Poppée prouve qu’il était capable de sensations délicates, et, comme le monstrueux se