Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 5 Evangiles, Levy, 1877.djvu/338

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partir de son règne, eut en général une signification politique[1], et fut synonyme de lèse-majesté. L’indifférence religieuse et la tyrannie en étaient venues à ce point que l’empereur était le seul dieu dont la majesté fût redoutée. Aimer l’empereur, voilà la piété ; être soupçonné d’opposition ou seulement de froideur, voilà l’impiété. Et l’on ne croyait pas que le mot eût perdu pour cela son sens religieux. L’amour de l’empereur, en effet, impliquait l’adoption respectueuse de toute une rhétorique sacrée qu’aucun esprit sensé ne pouvait plus prendre au sérieux. On était révolutionnaire, si on ne s’inclinait devant ces absurdités, dont on avait fait une routine d’État ; or le révolutionnaire, c’était l’impie. L’empire en venait à une sorte d’orthodoxie, à une pédagogie officielle, comme la Chine. Admettre ce que voulait l’empereur avec une sorte de loyalisme semblable à celui que les Anglais affectent envers leur souverain et leur Église établie, voilà ce qu’on appelait religio[2], ce qui valait à un homme le titre pius.

  1. Pline le jeune, Épitres, I, 5. Pietas, dans Quintilien (III, vii, 2), c’est le soin que Domitien a eu d’élever un temple à la gens Flavia. Cf. ἀσεϐεία, dans Philostrate, Apollonius, IV, xliv, 1.
  2. Quintilien, Instit., IV, præf. Lire surtout l. III, c. vii, pour prendre une idée des niaiseries incroyables que ce très-honnête homme veut que l’on conserve et respecte.