Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 5 Evangiles, Levy, 1877.djvu/538

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Pardonnez-moi, je sais ce qui m’est préférable[1]. C’est maintenant que je commence à être un vrai disciple. Non ; aucune puissance, ni visible, ni invisible, ne m’empêchera de jouir de Jésus-Christ. Feu et croix, troupes de bêtes, dislocation des os, mutilation des membres, broiement de tout le corps, que tous les supplices du démon tombent sur moi, pourvu que je jouisse de Jésus-Christ… Mon amour a été crucifié, et il n’y a plus en moi d’ardeur pour la matière, il n’y a qu’une eau vive[2], qui murmure au dedans de moi et me dit : « Viens vers le Père. » Je ne prends plus de plaisir à la nourriture corruptible ni aux joies de cette vie. Je veux le pain de Dieu, ce pain de vie, qui est la chair de Jésus-Christ, fils de Dieu, né à la fin des temps de la race de David et d’Abraham ; et je veux pour breuvage son sang, qui est l’amour incorruptible, la vie éternelle.


Soixante ans après la mort d’Ignace, la phrase caractéristique de ce morceau « Je suis le froment de Dieu… » était traditionnelle dans l’Église, et on la répétait pour s’encourager au martyre[3]. Peut-être y eut-il à cet égard une transmission orale ; peut-être aussi la lettre est-elle authentique pour le fond, je veux dire quant à ces phrases énergiques

  1. Ignace veut dire sans doute que la mort est tout profit, au point de vue du chrétien, mais aussi que les bêtes de l’amphithéâtre seront moins mauvaises pour lui que ses gardiens.
  2. Comp. Jean, vii, 38.
  3. Irénée, V, xxviii, 4.