Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/244

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les plus fortes, et qui par moments les percent comme un glaive, lui vinrent-ils à ce moment. Se rappela-t-il les claires fontaines de la Galilée, où il aurait pu se rafraîchir ; la vigne et le figuier sous lesquels il aurait pu s’asseoir ; les jeunes filles qui auraient peut-être consenti à l’aimer ? Maudit-il son âpre destinée, qui lui avait interdit les joies concédées à tous les autres ? Regretta-t-il sa trop haute nature, et, victime de sa grandeur, pleura-t-il de n’être pas resté un simple artisan de Nazareth ? On l’ignore. Car tous ces troubles intérieurs restèrent évidemment lettre close pour ses disciples. Ils n’y comprirent rien, et suppléèrent par de naïves conjectures à ce qu’il y avait d’obscur pour eux dans la grande âme de leur maître. Il est sûr, au moins, que sa nature divine reprit bientôt le dessus. Il pouvait encore éviter la mort ; il ne le voulut pas. L’amour de son œuvre l’emporta. Il accepta de boire le calice jusqu’à la lie. Désormais, en effet, Jésus se retrouve tout entier et sans nuage. Les subtilités du polémiste, la crédulité du thaumaturge et de l’exorciste sont oubliées. Il ne reste que le héros incomparable de la Passion, le fondateur des droits de la conscience libre, le modèle accompli que toutes les âmes souffrantes méditeront pour se fortifier et se consoler.

Le triomphe de Bethphagé, cette audace de provinciaux, fêtant aux portes de Jérusalem l’avénement de leur roi-messie, acheva d’exaspérer les pharisiens et