Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/300

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tirerait de la compagnie d’Anacréon et de Hafiz pour en faire un inspiré qui n’a chanté que l’amour divin ? Il est temps définitivement que la critique s’habitue à prendre son bien partout où elle le trouve, et à ne pas distinguer entre les œuvres de l’esprit humain, lorsqu’il s’agit d’induire et d’admirer. Il est temps que la raison cesse de critiquer les religions comme des œuvres étrangères, élevées contre elle par une puissance rivale, et qu’elle se reconnaisse enfin dans tous les produits de l’humanité, sans distinction ni antithèse. Il est temps que l’on proclame qu’une seule cause a tout fait dans l’ordre de l’intelligence, c’est l’esprit humain, agissant toujours d’après des lois identiques, mais dans des milieux divers. A entendre certains rationalistes, on serait tenté de croire que les religions sont venues du ciel se poser en face de la raison pour le plaisir de la contrecarrer comme si la nature humaine n’avait pas tout fait par des faces différentes d’elle-même ! Sans doute on peut opposer religion et philosophie, comme on oppose deux systèmes, mais en reconnaissant qu’elles ont la même origine et posent sur le même terrain. La vieille polémique semblait concéder que les religions sont d’une autre origine, et par là elle était amenée à les injurier. En étant plus hardi, on sera plus respectueux.

La haute placidité dé la science n’est possible qu’à la condition de l’impartiale critique, qui, sans aucun égard pour les croyances d’une portion de l’humanité, manie avec l’inflexibilité du géomètre, sans colère comme sans pitié, son imperturbable instrument. Celui qui injurie n’est pas un critique. Quand nous en serons venus au point que l’histoire de Jésus soit aussi libre que l’histoire de Buddha et de Mahomet, on ne songera point à adresser