Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/492

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finé. Les vraies mœurs démocratiques supposeraient, d’une part, l’abolition du salon aristocratique et du café, d’autre part, l’extension des relations de famille et des réunions publiques. I! est vrai qu’à ce dernier égard notre société offre une lacune difficile à combler. Nous n’avons rien d’analogue à l’école antique. Notre école est exclusivement destinée a l’enfance et par la vouée à un demi-ridicule, comme tout ce qui est pédagogique ; notre club est tout politique, et pourtant il faut à l’homme des réunions spirituelles. L’école ancienne était pour tous les âges le gymnase de l’esprit. Le sage, comme Socrate, Stilpon, Antisthène, Pirrhon, n’écrivant pas, mais parlant à des disciples ou habitués (οἱ συνόντες), est maintenant impossible. L’entretien philosophique, tel que Platon nous l’a conservé dans ses dialogues (187), la Sympasie antique, ne se conçoivent plus de nos jours (188). L’Église et la presse ont tué l’école. Maintenant que l’Église n’est plus rien pour le peuple, qui la remplacera ?

Ce qu’on appelle la société est loin d’être favorable au développement des jolies mœurs et des beaux caractères. Je n’oserais pas dire, si M. Michelet ne l’avait dit avant moi « Après la conversation des hommes de génie et des savants très spéciaux, celle du peuple est certainement la plus instructive. Si l’on ne peut causer avec Béranger, Lamennais ou Lamartine, il faut s’en aller dans les champs et causer avec un paysan. Qu’apprendre avec ceux du milieu ? Pour les salons, je n’en suis sorti jamais sans trouver mon cœur diminué et refroidi. » L’impression qui me reste en sortant d’un salon, c’est le désespoir de la civilisation. Si la civilisation devait fatalement aboutir à cet avortement, si le peuple à son tour, devait s’user de la sorte, et, au bout de quelques siècles, s’affadir au