Page:Renan - La Vie de Jésus.djvu/160

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Concevoir le bien, en effet, ne suffit pas ; il faut le faire réussir parmi les hommes. Pour cela des voies moins pures sont nécessaires. Certes, si l’Évangile se bornait à quelques chapitres de Matthieu et de Luc, il serait plus parfait et ne prêterait pas maintenant à tant d’objections ; mais sans miracles eût-il converti le monde ? Si Jésus fût mort au moment où nous sommes arrivés de sa carrière, il n’y aurait pas dans sa vie telle page qui nous blesse ; mais, plus grand aux yeux de Dieu, il fût resté ignoré des hommes ; il serait perdu dans la foule des grandes âmes inconnues, les meilleures de toutes ; la vérité n’eût pas été promulguée, et le monde n’eût pas profité de l’immense supériorité morale que son Père lui avait départie. Jésus, fils de Sirach, et Hillel avaient émis des aphorismes presque aussi élevés que ceux de Jésus. Hillel cependant ne passera jamais pour le vrai fondateur du christianisme. Dans la morale, comme dans l’art, dire n’est rien, faire est tout. L’idée qui se cache sous un tableau de Raphaël est peu de chose ; c’est le tableau seul qui compte. De même, en morale, la vérité ne prend quelque valeur que si elle passe à l’état de sentiment, et elle n’atteint tout son prix que quand elle se réalise dans le monde à l’état de fait. Des hommes d’une médiocre moralité ont é