Page:Renan - La Vie de Jésus.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stratifications politiques de l’Europe dérangées de leur ordre naturel. La « réforme de toutes choses[1] » voulue par Jésus n’était pas plus difficile. Cette terre nouvelle, ce ciel nouveau, cette Jérusalem nouvelle qui descend du ciel, ce cri : « Voilà que je refais tout à neuf[2] ! » sont les traits communs des réformateurs. Toujours le contraste de l’idéal avec la triste réalité produira dans l’humanité ces révoltes contre la froide raison que les esprits médiocres taxent de folie, jusqu’au jour où elles triomphent et où ceux qui les ont combattues sont les premiers à en reconnaître la haute raison.

Qu’il y eût une contradiction entre la croyance d’une fin prochaine du monde et la morale habituelle de Jésus, conçue en vue d’un état stable de l’humanité, assez analogue à celui qui existe en effet, c’est ce qu’on n’essayera pas de nier[3]. Ce fut justement cette contradiction qui assura la fortune de son œuvre. Le millénaire seul n’aurait rien fait de durable ; le moraliste seul n’aurait rien fait de puissant.

  1. Act., iii, 21.
  2. Apocal., xxi, 1, 2, 5.
  3. Les sectes millénaires de l’Angleterre présentent le même contraste, je veux dire la croyance à une prochaine fin du monde, et néanmoins beaucoup de bon sens dans la pratique de la vie, une entente extraordinaire des affaires commerciales et de l’industrie.