Page:Renan - La Vie de Jésus.djvu/383

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L’Évangile était ainsi destiné à devenir pour les chrétiens une utopie, que bien peu s’inquiéteraient de réaliser. Ces foudroyantes maximes devaient dormir pour le grand nombre dans un profond oubli, encouragé par le clergé lui-même ; l’homme évangélique sera un homme dangereux. De tous les humains le plus intéressé, le plus orgueilleux, le plus dur, le plus attaché à la terre, un Louis XIV, par exemple, devait trouver des prêtres pour lui persuader, en dépit de l’Évangile, qu’il était chrétien. Mais toujours aussi des Saints devaient se rencontrer pour prendre à la lettre les sublimes paradoxes de Jésus. La perfection étant placée en dehors des conditions ordinaires de la société, la vie évangélique complète ne pouvant être menée que hors du monde, le principe de l’ascétisme et de l’état monacal était posé. Les sociétés chrétiennes auront deux règles morales, l’une médiocrement héroïque pour le commun des hommes, l’autre exaltée jusqu’à l’excès pour l’homme parfait ; et l’homme parfait, ce sera le moine assujetti à des règles qui ont la prétention de réaliser l’idéal évangélique. Il est certain que cet idéal, ne fût-ce que par l’obligation du célibat et de la pauvreté, ne pouvait être de droit commun. Le moine est ainsi, en un sens, le seul vrai chrétien. Le bon sens vulgaire se révolte devant ces excès ; à l’en croire, l’impossible est le signe de la faiblesse et