Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/115

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Ernest chéri, et te le demander avec une tendresse presque maternelle : que rien de précipité ne te lie ; que tu sois capable de connaître, avant de les accepter, les engagements qui fixeront ton sort. Je pourrais peut-être, cher ami, employer envers toi l’ascendant que me donnent mon amitié et l’expérience d’une vie éprouvée ; mais j’en serai sobre parce que je crois en ta raison et que je me contenterai toujours d’y faire appel. Tu le dis avec vérité, mon Ernest, tu n’es point né pour une vie légère, et je conviendrais avec toi que celle dont tu te fais l’idée serait peut-être la meilleure pour tes goûts, si elle pouvait se réaliser. Plus que tout autre, ta sœur est capable de comprendre le charme d’une vie retirée, libre, indépendante, laborieuse et surtout utile ; mais où la trouver ?… Partout je crois cette indépendance, sinon impossible, du moins accordée à un bien petit nombre, et pour ma part je ne l’ai jamais connue ; comment donc puis-je espérer qu’elle sera ton partage dans une société dont la hiérarchie est la première base et où tu entrevois avec raison une autorité soupçonneuse ?…