Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/148

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jamais mes idées sur l’état ecclésiastique n’avaient été plus arrêtées que depuis cette première épreuve à laquelle je viens d’être soumis. Jamais je n’ai cru plus intimement, jamais mes supérieurs ne m’ont assuré avec plus de concert que la volonté de Dieu était que je fusse prêtre. Ce n’est pas que je m’y construise un idéal de bonheur humain. Ni mon caractère, ni l’expérience ne m’y portent. Mais après tout, ma bonne Henriette, c’est folie de nous amuser à courir après une telle chimère, puisqu’elle n’est pas d’ici-bas. Le devoir, la vertu et les jouissances inséparables de l’exercice des facultés nobles, voilà tout ce qu’il est permis et raisonnable à l’homme de rechercher ; la jouissance, dans le sens le plus étendu du mot, n’est pas faite pour lui, il s’épuise en vain à la poursuivre. Le christianisme une fois posé, comme cela se peut rationnellement, il a bien une autre fin à remplir. Rien ne me prouve mieux la divinité de la théorie chrétienne de l’homme et du bonheur, que les reproches mêmes que lui font si amèrement les écoles modernes, d’obliger l’homme à sortir sans cesse de lui-