Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/149

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même, à refluer, pour ainsi dire, contre sa nature, à placer son bonheur hors du moi et des jouissances. En vérité, je leur pardonne bien volontiers de n’admettre pas le christianisme ; l’homme n’est pas chrétien par lui-même, mais par Dieu ; ce n’est donc qu’à demi leur faute ; mais je ne leur pardonne pas de n’avoir pas vu que cette théorie n’est que l’expression d’un fait, la déchéance et la misère actuelle de l’homme ; la simple étude expérimentale de l’homme aurait dû les y conduire.

Ce point établi, le christianisme prouvé, et la volonté de Dieu manifestée, comme j’ai lieu de croire qu’elle l’a été pour moi, la conséquence logique est, ce me semble, inévitable. Il est pourtant une difficulté qui m’a souvent occupé. Supposé même, comme je le crois, que la crainte de me priver de quelques douceurs et peut-être de m’attirer bien des peines, ne soit pas une raison suffisante pour reculer, au moins, me suis-je dit à moi-même, le désir de conserver cette douce liberté et cette honnête indépendance si nécessaire pour la pleine action des facultés intel-