Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/151

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qui s’effarouchent de ce qu’ils ne comprennent pas est infini. Mais après tout, est-il donc si pénible de ne penser que pour soi, et n’est-ce pas par un secret mobile de vanité que l’on est si empressé de communiquer ses réflexions aux autres ? La loi de silence dont je viens de parler, tout homme qui veut vivre en paix ne doit-il pas se l’imposer ? « Il faut avoir une pensée de derrière, dit Pascal, et juger du tout par là, en parlant cependant comme le peuple. » C’est aussi ce que me disait l’habile directeur dont je t’ai déjà dit quelques mots, et qui a tant appuyé sur ce point qu’il semblait en parler par expérience : « Mon cher, me disait-il, si je savais que vous n’eussiez pas la force de vous taire, je vous supplierais de ne pas entrer dans l’état ecclésiastique. — Monsieur, lui ai-je répondu, je me suis consulté, et j’ai cru pouvoir me répondre de la trouver. »

Voilà, ma bonne Henriette, le récit historique de l’état où je me trouve. C’est pour moi une indicible consolation, de songer que j’aurai au moins toujours dans ton cœur un refuge où je pourrai trouver cette liberté qu’il