Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amertume, privée même de ce repos annuel qui vient interrompre pour moi la série accoutumée de ma pauvre vie. La pensée du bonheur dont je vais jouir ne me revient jamais, qu’elle ne me rappelle que celle à qui je le devrai en sera elle-même privée, peut-être encore durant des années. Cette pensée m’est bien pénible, ma bonne Henriette, et je n’y trouve d’adoucissement que par l’espérance et la conscience de cette affection qui est le seul retour par lequel on peut payer le dévouement. Te rappelles-tu qu’il y a cinq ans, quand je te quittai pour aller revoir notre bonne mère, tu pleurais. Je n’y pense jamais sans en faire presque autant. Pauvre Henriette, que dirions-nous maintenant ? Oh ! que ta pensée nous sera présente durant les doux instants qui s’approchent. L’an dernier, c’était là que se tournaient toutes nos conversations.

Je dois t’apprendre, ma chère Henriette, que depuis ma dernière lettre, j’ai fait un pas de plus dans la carrière ecclésiastique. Mais celui-ci ne m’a pas coûté les soucis et les longues alternatives de doute qui avaient accompagné le premier. Il n’en est, pour ainsi