Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/290

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passé en compte, et ta bourse et la mienne ne doivent jamais faire qu’une. Oui, mon pauvre cher ami, il y aura pour nous des jours heureux, il y en aura certainement dans notre existence, tant que notre amitié, notre union seront toujours les mêmes ; et ce qui se passe dans ce moment n’est propre qu’à les cimenter de plus en plus. Je sens, je comprends, je partage tout ce qui oppresse ton âme : oui, il est bien cruel, le moment où il faut rompre avec ce qui a rempli les rêves et fait la joie du passé ; longtemps cette rupture laisse au cœur un vide désolant ; mais nul ne peut éviter une telle douleur, quand ses yeux se sont ouverts, quand la voix de la conscience se fait entendre. « La vérité connue devient pour l’intelligence une loi qu’elle n’est pas maîtresse de rejeter ; il ne m’appartient point d’ouvrir ou de fermer la porte à la vérité comme il me plaît ; dès qu’elle s’est nommée, elle entre et m’ordonne de lui soumettre mon action. » C’est de l’œuvre d’une femme que j’ai retenu ces mots : ils n’en sont ni moins vrais ni moins justes. Je rends à Dieu les plus vives actions de grâces pour avoir fait naître