Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/376

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mon passé si doux et si pur, quand je jette les yeux sur ce monde froid et sans intelligence du divin qui m’entoure. Et puis, il est si dur de poser ainsi sur le sol sans y tenir ! J’éprouve bien en ce moment la vérité de ce que tu me disais sur la vie de voyage : l’homme tend à se fixer, à prendre racine partout, et, quand la rapidité des relations vient l’en empêcher, il souffre. L’habitude est si douce ! et l’habitude ne se forme que sur un sol où l’on peut s’asseoir et fixer sa tente. C’est maintenant que je comprends combien ta vie depuis dix ans a dû être pénible, et encore, quelle différence avec la mienne ! Ma position est excessivement douce et agréable en elle-même, et la tienne... Dieu, quand j’y pense !... Quel bonheur, le jour où la vie domestique te sera rendue avec toutes ses douceurs ! Nous serons heureux ensemble, bonne amie ; mon caractère est bon, doux ; et tu me laisseras mener ma vie simple et pensive, et je te dirai tout ce que je pense et ce que je sens. Et puis, nous aurons des amis distingués et purs, qui embelliront notre vie. Enfin, chère amie, il n’y a pas de beau