Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/40

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monde, sa santé souffrait de rudes atteintes par suite de la rigueur des hivers en Pologne. Une affection chronique du larynx se développa et prit, en 1850, assez de gravité pour que son retour fût jugé nécessaire. Sa tâche, d’ailleurs, était accomplie ; les dettes de notre père étaient complètement éteintes, les petites propriétés qu’il nous avait laissées se trouvaient, dégagées de toute charge, entre les mains de notre mère ; mon frère avait conquis par son travail une position qui promettait de devenir la richesse. La pensée nous vint de nous réunir. En septembre 1850, j’allai la rejoindre à Berlin. Ces dix années d’exil l’avaient toute transformée. Les rides de la vieillesse s’étaient prématurément imprimées sur son front ; du charme qu’elle avait encore quand elle me dit adieu dans le parloir du séminaire Saint-Nicolas, il ne lui restait que l’expression délicieuse de son ineffable bonté.

Alors commencèrent pour nous ces douces années dont le souvenir m’arrache des larmes. Nous prîmes un petit appartement au fond d’un jardin, près du Val-de-Grâce. Notre solitude y fut absolue. Elle n’avait pas de rela-