Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/129

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les chimères qu’on lui dit avec assurance et conviction.

En ce qui concerne Tatien, le bon sens eut, du moins, sa revanche. Ce Lamennais du iie siècle suivit, à beaucoup d’égards, la ligne du Lamennais de notre temps. L’exagération d’esprit et l’espèce de sauvagerie qui nous choquent dans son Discours le jetèrent hors de l’Église orthodoxe. Ces apologistes à outrance deviennent presque toujours des embarras pour la cause qu’ils ont défendue.

Déjà, dans le discours contre les Grecs, Tatien est médiocrement orthodoxe. Comme Apelle, il croit que Dieu, absolu en soi, produit le Verbe, qui crée la matière et produit le monde[1]. Comme Justin[2], il professe que l’âme est un agrégat d’éléments ; que, par son essence, elle est mortelle et ténébreuse ; que c’est uniquement par son union avec l’Esprit saint qu’elle devient lumineuse et immortelle[3]. Puis son caractère fanatique le jeta dans les excès d’un rigorisme contre nature. Par le genre de ses erreurs et par son style, à la fois spirituel et grossier, Tatien devait être le prototype de Tertullien. Il écrivait avec l’abondance et l’entraînement d’un esprit sincère,

  1. Adv. Gr., 5.
  2. Justin, Dial., 5.
  3. Adv. Gr., 7, 8, 13, 15.