Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/251

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mentelles, le mouvement de l’Église et le progrès[1]. Le vrai chrétien, ne vivant qu’en perspective du jugement dernier et du martyre, passe sa vie dans la contemplation. Non seulement il ne doit pas fuir la persécution, mais il lui est ordonné de la rechercher. On se prépare sans cesse au martyre comme à un complément nécessaire de la vie chrétienne. La fin naturelle du chrétien, c’est de mourir dans les tortures. Une crédulité effrénée, une foi à toute épreuve dans les charismes spirites[2], achevaient de faire du montanisme un des types de fanatisme les plus outrés que mentionne l’histoire de l’humanité.

Ce qu’il eut de grave, c’est que cet effroyable rêve séduisit l’imagination du seul homme de grand talent littéraire que l’Église ait compté dans son sein durant trois siècles. Un écrivain incorrect, mais d’une sombre énergie, un ardent sophiste, maniant tour à tour l’ironie, l’injure, la basse trivialité, jouet d’une conviction ardente jusque dans ses plus manifestes contradictions, Tertullien trouva moyen de donner des chefs-d’œuvre à la langue latine à demi morte, en appliquant à ce sauvage idéal une élo-

  1. Tert., De pudic., 21.
  2. Voir l’épisode de la soror qui voyait les âmes, dans Tertullien, De anima, 9. Extases d’enfants dans saint Cyprien, Epist., 9.