Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/284

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soucia de se mettre d’accord avec lui-même sur Dieu et sur l’âme. Comme s’il avait lu la Critique de la raison pratique, il vit bien que, dès qu’il s’agit de l’infini, aucune formule n’est absolue, et qu’en pareille matière on n’a quelque chance d’avoir aperçu la vérité une fois en sa vie que si l’on s’est beaucoup contredit. Il détacha hautement la beauté morale de toute théologie arrêtée ; il ne permit au devoir de dépendre d’aucune opinion métaphysique sur la cause première. Jamais l’union intime avec le Dieu caché ne fut si poussée à de plus inouïes délicatesses.


Offre au gouvernement du dieu qui est au-dedans de toi un être viril, mûri par l’âge, ami du bien public, un Romain[1], un empereur, un soldat à son poste, attendant le signal de la trompette, un homme prêt à quitter la vie sans regret[2]. — Il y a bien des grains d’encens destinés au même autel, l’un tombe plus tôt, l’autre plus tard dans le feu ; mais la différence n’est rien[3]. — L’homme doit vivre selon la nature pendant le peu de jours qui lui sont donnés sur la terre, et, quand le moment de la retraite est venu, se soumettre avec douceur, comme une olive qui, en tombant, bénit l’arbre qui l’a produite et rend grâces au rameau qui l’a portée[4]. — Tout ce qui t’arrange m’arrange, ô cosmos. Rien ne m’est prématuré ni tardif,

  1. Comp. Pensées, II, 5.
  2. Pensées, III, 5.
  3. Pensées, VI, 15.
  4. Pensées, VI, 48.