Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/285

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de ce qui pour toi vient à l’heure. Je fais mon fruit de ce que portent tes saisons, ô nature ! De toi vient tout ; en toi est tout ; vers toi va tout.

Cité de Cécrops, toi que j’aime,


dit le poète ; comment ne pas dire :

Cité de Jupiter, je t’aime[1] ? —

Ô homme ! tu as été citoyen dans la grande cité ; que t’importe de l’avoir été pendant cinq ou pendant trois années ? Ce qui est conforme aux lois n’est injuste pour personne. Qu’y a-t-il donc de si fâcheux à être renvoyé de la cité non par un tyran, non par un juge inique, mais par la nature même, qui t’y avait fait entrer ? C’est comme si un comédien est congédié du théâtre par le même préteur qui l’y avait engagé. « Mais, diras-tu, je n’ai pas joué les cinq actes ; je n’en ai joué que trois. » Tu dis bien ; mais, dans la vie, trois actes suffisent pour faire la pièce entière. Celui qui marque la fin est celui qui, après avoir été la cause de la combinaison des éléments, est maintenant la cause de leur dissolution ; tu n’es pour rien dans l’un ni dans l’autre de ces faits.

Pars donc content ; car celui qui te congédie est sans colère[2].


Est-ce à dire qu’il ne se révoltât pas quelquefois contre le sort étrange qui s’est plu à laisser seuls face à face l’homme, avec ses éternels besoins de dévouement, de sacrifice, d’héroïsme, et la nature, avec

  1. Pensées, IV, 23. On ignore de quelle pièce est prise la citation de Marc-Aurèle.
  2. Pensées, XII, 36.