Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/286

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son immoralité transcendante, son suprême dédain pour la vertu ? Non. Une fois du moins l’absurdité, la colossale iniquité de la mort le frappa. Mais bientôt son tempérament, complètement mortifié, reprend le dessus, et il se calme.


Comment se fait-il que les dieux, qui ont ordonné si bien toutes choses et avec tant d’amour pour les hommes, aient négligé un seul point, à savoir que les hommes d’une vertu éprouvée, qui ont eu pendant leur vie une sorte de commerce avec la Divinité, qui se sont fait aimer d’elle par leurs actions pieuses et leurs sacrifices, ne revivent pas après la mort, mais soient éteints pour jamais ? Puisque la chose est ainsi, sache bien que, si elle avait dû être autrement, ils n’y eussent pas manqué ; car, si cela eût été juste, cela était possible ; si cela eût été conforme à la nature, la nature l’eût comporté. Par conséquent, de cela qu’il n’en est pas ainsi, confirme-toi en cette considération qu’il ne fallait pas qu’il en fût ainsi. Tu vois bien toi-même que faire une telle recherche, c’est disputer avec Dieu sur son droit. Or nous ne disputerions pas ainsi contre les dieux, s’ils n’étaient pas souverainement bons et souverainement justes ; s’ils le sont, ils n’ont rien laissé passer dans l’ordonnance du monde qui soit contraire à la justice et à la raison[1].


Ah ! c’est trop de résignation, cher maître. S’il en est véritablement ainsi, nous avons le droit de nous plaindre. Dire que, si ce monde n’a pas sa

  1. Pensées, XII, 5.