Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/288

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toi[1] ! » Toute la vie se passa pour lui dans cette noble hésitation. S’il pécha, ce fut par trop de piété. Moins résigné, il eût été plus juste ; car, sûrement, demander qu’il y ait un spectateur intime et sympathique des luttes que nous livrons pour le bien et le vrai, ce n’est pas trop demander.

Il est possible aussi que, si sa philosophie eût été moins exclusivement morale, si elle eût impliqué une étude plus curieuse de l’histoire et de l’univers, elle eût évité certains excès de rigueur. Comme les ascètes chrétiens, Marc-Aurèle pousse quelquefois le renoncement jusqu’à la sécheresse et à la subtilité. Ce calme qui ne se dément jamais, on sent qu’il est obtenu par un immense effort. Certes, le mal n’eut jamais pour lui nul attrait ; il n’eut à combattre aucune passion : « Quoi qu’on fasse ou quoi qu’on dise, écrit-il, il faut que je sois homme de bien, comme l’émeraude peut dire : « Quoi qu’on dise ou qu’on fasse, il faut bien que je sois émeraude et que je garde ma couleur[2]. » Mais, pour se tenir toujours sur le sommet glacé du stoïcisme, il lui fallut faire de cruelles violences à la nature et en retrancher plus d’une noble partie. Cette perpétuelle répétition des mêmes raisonnements, ces mille images

  1. Pensées, XII, 15. Cf. XII, 14.
  2. Pensées, VII, 15.