Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/32

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mourrez ; bientôt après, vos noms ne survivront plus[1]. » Ces réflexions d’universel pardon reviennent sans cesse. À peine se mêle-t-il parfois à cette ravissante bonté un imperceptible sourire. « La meilleure manière de se venger des méchants, c’est de ne pas se rendre semblable à eux[2] » ; ou un léger accent de fierté : « C’est chose royale, quand on fait le bien, d’entendre dire du mal de soi[3]. » Un jour, il a un reproche à se faire : « Tu as oublié, dit-il, quelle parenté sainte réunit chaque homme avec le genre humain ; parenté non de sang et de naissance, mais participation à la même intelligence. Tu as oublié que l’âme raisonnable de chacun est un dieu, une dérivation de l’Être suprême[4]. »

Dans le commerce de la vie, il devait être exquis, quoiqu’un peu naïf, comme le sont d’ordinaire les hommes très bons. Il était sincèrement humble, sans hypocrisie, ni fiction, ni mensonge intérieur[5]. Une des maximes de l’excellent empereur était que les méchants sont malheureux, qu’on n’est méchant que malgré soi et par ignorance ; il plaignait ceux qui

  1. Pensées, IV, 6. Cf. XII, 16.
  2. Ibid., VI, 6.
  3. Ibid., VII, 36. La pensée est d’Antisthène.
  4. Ibid., XII, 26.
  5. Ibid., VII, 70 ; VIII, 1.