Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/355

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tyrs à des supplices plus cruels encore ; d’autres y mêlaient l’ironie, quelquefois même une nuance de pitié : « Où est leur Dieu ? disaient-ils. À quoi leur a servi ce culte qu’ils ont préféré à la vie ? » Les chrétiens éprouvaient une vive douleur de ne pouvoir cacher en terre les restes des corps saints. L’excès d’endurcissement des païens leur parut la preuve d’une malice arrivée à son comble et le signe d’un prochain jugement de Dieu[1]. « Allons ! se dirent-ils, ce n’était donc pas assez. » Et ils ajoutaient, en souvenir de leurs apocalypses : « Eh bien, que le méchant s’empire encore, que le bon s’améliore encore[2]. » Ils tentèrent d’enlever les corps pendant la nuit, essayèrent sur les soldats l’effet de l’argent et des prières ; tout fut inutile ; l’autorité gardait ces misérables restes avec acharnement. Le septième jour enfin, l’ordre vint de brûler la masse infecte et de jeter les cendres dans le Rhône, qui coulait près de là[3], pour qu’il n’en restât aucune trace sur la terre.

Il y avait en cette manière d’agir plus d’une

  1. Daniel, xii, 10 ; Apoc., xxii, 11.
  2. La recrudescence des idées sur l’apparition de l’Antechrist tenait toujours à une recrudescence de persécution. Eusèbe, Hist. eccl., VI, 7. Le millénarisme de Népos d’Arsinoé paraît de même avoir été le contre-coup de la persécution de Valérien.
  3. Le confluent de la Saône et du Rhône était autrefois aux Terreaux, si bien qu’à partir de ce point la Saône perdait son nom. L’eau qui coulait au pied de Fourvières s’appelait le Rhône.